dimanche 31 mai 2009

LA DOCTRINE W.BUSH

25.04.02

 

LA DOCTRINE W.BUSH :

une stratégie de domination et de coercition globalisée.

 

Par Mahi  Ahmed

 

Robert Lieber ,professeur à l’université de Georgetown et membre du groupe de « conseillers en stratégie» de l’équipe de W. Bush a déclaré : « Les USA se trouvent dans une situation unique en tant que pays le plus puissant et le plus influent du monde. Ce statut exceptionnel , cette suprématie, est le résultat de l’effondrement de l’URSS et du fait qu’aucun autre pays ou groupe de pays n’a les moyens de les concurrencer efficacement. Les USA ont un degré unique de puissance militaire et de technologies de pointe, un rôle dominant comme puissance économique, dans les domaines de la compétitivité , des technologies de l’information et même dans le spectacle et la culture de masse….L’influence des USA et leur engagement actif est indispensable notamment dans le domaine de la sécurité. »(*1) Un tel constat peut apparaître ,à première vue, comme correspondant à une réalité mondiale reconnue par tous. Ce constat renferme cependant, au travers des formulations choisies, les éléments essentiels fondateurs de la ligne stratégique de la nouvelle administration américaine. Une telle ligne apparaît, de plus en plus clairement, à l’épreuve des champs multiples où les USA se sont délibérément engagés pour imposer ,sur le plan international, leurs nouvelles orientations. On est frappé par la qualité de la cohérence globale qu’acquièrent progressivement ces orientations qui prennent, peu à peu, la forme d’une véritable doctrine. Il importe de s’y intéresser de plus prés . Comment peut-on ,en effet, comprendre que W. Bush en recevant Colin Powell au terme de sa mission au Moyen-Orient, dans le vacarme et le sang des massacres perpétrés contre le peuple palestinien, puisse qualifier Ariel Sharon d’homme de paix et continuer à apporter son appui inconditionnel et actif à Israël si on ne saisit pas dans toutes ses dimensions la doctrine qu’il entend appliquer ?

 

(*1) : in Les objectifs de politique étrangère des USA. Vol 6 , N° 1. Revue du département d’Etat des USA

 

 

LE PROCESSUS DE FORMATION ET LES FONDEMENTS DE CETTE DOCTRINE :

 

Les frappes terroristes qui ont endeuillé et inquiété les USA et le monde entier le 11 septembre 2001 à cause de l’ampleur des victimes et de la forme inédite de l’action terroriste s’appuyant sur les technologies de pointe et procédant de stratégies de guerres globales asymétriques, ont eu lieu dans un contexte américain et international marqué par :

1)                  Une aggravation des signes de récession économique touchant l’ensemble des pays dits développés et singulièrement le Japon, les USA et dans une certaine mesure l’Europe.

2)                  Un piétinement sérieux de la nouvelle économie fondée sur les nouvelles technologies et techniques de l’information et notamment sur l’Internet et le e-commerce .Le pari sur la nouvelle économie a été à la base d’investissements colossaux et d’actions gigantesques de restructurations et de fusions de multinationales et de réseaux de PME mondialisées. Ce pari était celui de l’orientation imprimée au cours de la mondialisation de l’économie et des finances spéculatives.

3)                  Un aiguisement qualitatif des contradictions d’intérêts politiques, économiques , sociaux et culturels et même militaires entre les trois pôles de la triade que sont les USA, l’Europe et le Japon. Les avancées structurelles et institutionnelles dans la formation de l’entité européenne posaient en termes nouveaux les objectifs stratégiques et géostratégiques de chacun des pôles.

4)                  Une montée en cadence et en qualité du mouvement international contre la mondialisation néo-libérale. Un tel mouvement est renforcé par une extension mondialisée du sous-développement, de la pauvreté et de l’exclusion.

W. Bush, en accédant au pouvoir de la manière que l’on sait, semblait plus orienté vers les problèmes de politique intérieure. Il semblait n’accorder aux problèmes internationaux qu’un intérêt tout relatif rattaché à une compréhension étroite de l’intérêt de l’Amérique  . L’orientation fondamentale de son action apparaissait comme portée par la tradition républicaine d’un nationalisme puritain et par un reaganisme réadapté. L’impression qui se dégageait et retenait l’attention de l’observateur au début de son mandat , c’était plutôt celle d’une démarche d’un enfermement étroit des USA.

Les événements du 11 septembre 2001 marquent un point d’inflexion majeur dans l’orientation fondamentale et opérationnelle de l’administration américaine. Ces événements ont été avec les facteurs caractérisant le contexte général de l’époque, comme signalés plus haut, les déclencheurs de la mise au point et d’une élaboration  feignant d’être pragmatique de la nouvelle doctrine W. Bush .Cette dernière, fortement explicitée dans le discours sur l’état de la nation du 29 janvier 2002, se fonde sur les analyses et les stratégies élaborées les premiers cercles producteurs de la pensée « bushiénne » animés par ses plus proches collaborateurs .

Condoleezza Rice, l’assistante de W. Bush pour les questions de sécurité et l’une de ses éminences grises affirmait : « Nous voulons fonder notre stratégie de dissuasion sur la prévention. La dissuasion a fait ses preuves pendant la guerre froide. Elle ne produira pas forcément les mêmes résultats à notre époque. » Le mot clé est lâché, c’est la prévention, c’est à dire l’attaque préalable devant éliminer à la racine toute velléité anti-américaine , c’est l’offensive, la coercition. Cette doctrine, si on l’examine à partir des analyses existantes ou de la pratique politique américaine au jour le jour, semble reposer sur trois piliers  principaux interactifs : l’idéologie néo-libérale moralisante, la maîtrise de la globalisation économique et politique , la suprématie militaire comme base d’une stratégie de coercition globalisée.

 Le néo-libéralisme porté par l’administration Bush et qui  s’impose aux processus de la mondialisation, n’a plus rien à avoir avec le libéralisme économique qui a fondé et construit l’économie de marché au cours des siècles d’existence du capitalisme. Son caractère débridé et chaotique mu par la spéculation financière et la compétition dans l’accélération éhontée des volumes de profits, lui enlève toute valeur  culturelle élémentaire. Il procède d’un dogmatisme idéologique dominateur. Le pilier de l’idéologie de cette doctrine est fondé sur la thèse moralisante suivante : « Le modèle américain est le meilleur. Il est le plus humain. Il doit prévaloir partout dans le monde. » Cette thèse est détachée de la complexité des processus d’évolution des formations sociétales. Ce pilier entend élever au niveau de l’universel, les valeurs occidentales développées par le système capitaliste et notamment par la culture américaine individualiste et fondée sur les vertus de la consommation , du marchandisage de tout et du mercantilisme. Ce sont ces valeurs qui doivent prévaloir à l’échelle du monde. C’est à partir d’elles que seront jugés les peuples, les sociétés et les Etats. Les peuples et les Etats qui adoptent de telles valeurs et s’y inscrivent, représentent l’axe du Bien, tous les autres l’axe du Mal. Ces valeurs que sont la liberté , la démocratie, la libre entreprise, les droits de l’homme etc. sont traduites au niveau de leur expression concrètes par des acceptions transcendant les réalités historiques qui doivent, elles, se rattacher à chaque situation concrète et à laquelle ils doivent en principe correspondre . Jesse Helms, Sénateur et président de la commission des relations extérieures du Sénat déclarait dans un discours devant l’American Entreprise Institute le 11 janvier dernier : « Nous devons aider le Président à concrétiser sa conception du conservatisme à visage humain…La tendance mondiale à l’instauration de l’Etat de droit, à la démocratie , à la société civile et à la libre entreprise rencontre encore des poches de résistance dans bien de régions. Notre défi en ce début de millénaire doit consister à renforcer les progrès démocratiques de ces dix dernières années tout en exerçant des pressions accrues sur ceux qui refusent encore d’accepter l’idée que la légitimité souveraine repose sur le consentement des citoyens. ». Mais les acceptions de ces concepts d’Etat de droit. de démocratie, de liberté , de société civile , de libre entreprise, tels qu’ils sont utilisés par ces stratèges, se rattachent de fait à des réalités que l’on veut imposer et non à une prise de conscience individuelle et sociale des nécessités , non figées, certes complexes et évolutives, mais fondatrices de la citoyenneté, du civisme, de la justice sociale,  de la solidarité et de la cohésion sociale, donc de la nation et de son devenir. Une telle idéologie relève d’un mode de pensée binaire, une pensée unique,  qui appauvrit la pensée créative et créatrice et sa capacité de pénétrer et de rendre intelligible, au service de l’homme et de l’humanité, la complexité et particulièrement la complexité sociale. Nous assistons à un retour ,à cadence forcée, d’un dogmatisme idéologique primaire et asséché, qui a fait tant de mal à l’humanité particulièrement au cours du siècle dernier avec ses guerres mondiales dévastatrices , ses déportations et camps d’internement, ses goulags, son holocauste etc. Ce dogmatisme ignore, à dessein,  la richesse de la pensée de progrès, de justice sociale et de l’expérience historique des peuples et de l’humanité qu’il  entend même  éradiquer ou effacer de l’histoire et de la mémoire collective.

Colin Powell  ,un éminent architecte du reaganisme, présenté comme la colombe de l’équipe W.Bush mais qui est guidé par une certaine volonté de réalisme servant les USA, déclarait devant la chambre de représentants le 7 mars dernier comme pour expliciter cette idéologie ce qui suit : « Ce qui motive mon espoir et mon exaltation, c’est la certitude absolue que nous possédons la bonne formule : notre liberté, notre démocratie , notre modèle économique ancré dans la liberté d’entreprise, notre régime qui repose sur les droits de chaque homme et de chaque femme….Je pense donc que nous vivons une époque remplie de possibilités pour notre pays. Il n’existe aucune autre idéologie qui puisse véritablement rivaliser avec celle que nous offrons au monde. Elle est venue à bout de l’URSS. Elle change la Chine, malgré certaines difficultés qui continuent à nous préoccuper….. Ce que nous devons faire, c’est renforcer nos succès sans redouter les difficultés et les risques et utiliser la puissance qui est la nôtre - notre puissance politique, diplomatique et militaire mais surtout le pouvoir de nos idées-afin de rester engagés dans le monde ». De fait,  toute la puissance des USA est actuellement mise en branle pour diffuser et imposer une telle idéologie, y compris par la force des armes les plus sophistiquées sans exclure les armes nucléaires, comme cela est envisagé à l’encontre de l’Irak, de l’Iran et de la Corée du Nord, pays décrétés par W. Bush, dans son discours sur l’état de la nation, comme constituant présentement l’axe du mal. W . Bush va plus loin encore et affirme : « Qui n’est pas avec nous est avec les terroristes ». La puissance multidimensionnelle des USA devient, en effet, de plus en plus écrasante et les leviers par lesquels elle s’exerce et se diffuse, interpénètrent l’ensemble de notre univers planétaire et constituent un système de réseaux coordonnés et asservis de plus en plus sophistiqués et couvrant l’idéologie, l’information et la culture , l’économie et l’armement.

 

LES VECTEURS DE CETTE DOCTRINE

 

 Le vecteur de l’information mondialisée, porté aujourd’hui par l’impétueuse fougue des nouvelles techniques et technologies de l’information et de la communication (NTIC) de même que par les théories et les techniques  du management moderne, est celui qui porte au plus loin et au plus profond, en temps réel, les contenus et les formes adaptées de cette idéologie en fonctions des stratégies opérationnelles arrêtées. Il est remarquable de constater, au niveau des empires actuels de l’information audio-visuelle et écrite et des différents canaux qu’ils investissent, l’unicité ou l’homogénéisation des contenus et des orientations essentiels des messages diffusés. Il s’agit de messages orientés et filtrés ciblant des populations ou des segments du vaste marché mondial de l’information ou de l’influence  politique et idéologique. Le produit information, quelle que soit la forme qu’il prend, devient un objet de la spéculation aussi bien financière , politique et autre en fonction de sa valeur boursière du moment, peut-on dire. On est en présence, dans les pays dits développés et dans les centres des faiseurs d’opinion et des magnats de l’information écrite et audio-visuelle, d’une nouvelle race de manipulateurs de l’information se drapant du masque de la profession de journalistes et  formés dans les diverses théories et techniques du management moderne de l’information de l’école américaine. De tels manipulateurs agissent comme de véritables managers guidés par une raison d’être stratégique ,ici l’intérêt du monde dit libre et de la globalisation néo-libérale, et des objectifs stratégiques et opérationnels déclinés à partir des évolutions complexes des environnements extérieurs mais aussi intérieurs. Pour eux , le produit information doit prendre le sens découlant des stratégies retenues et l’objectivité de l’information doit épouser les formes qui crédibilisent les messages diffusés. .La forme de ce produit ou si l’on veut son emballage, déforme à l’envie son contenu réel. Une illustration de cela nous a été déjà fournie par exemple, lors de la couverture de la guerre du Golfe en 1990 et le rôle de collusion qu’y a joué CNN.On peut le montrer aussi  par tout ce qui a entouré et entoure encore les événements du 11 septembre 2001 et les prolongements militaires ,politiques et idéologiques auxquels ils ont donné lieu. L’illustration peut aussi s’appuyer sur les pénibles événements que nous vivons dans notre chair en liaison avec la Palestine et Israël .Tout est fait au niveau de l’information et de l’analyse pour ménager Sharon et Israël et pour condamner Arafat et les Palestiniens. Le cœur du problème qui est l’occupation n’est jamais mis en avant pour expliquer les véritables racines du drame. De même que toute critique adressée à Israël est taxée d’anti-sémite et déclenche le spectre de l’holocauste  .

C’est ainsi, d’autre part, que l’axe de la lutte implacable contre le terrorisme engagée par W. Bush a pris, faute d’une définition appropriée et admise communément du concept de terrorisme et de l’analyse de ses causes,  des dimensions dont l’orientation idéologique et la portée stratégique apparaissent comme relevant d’une doctrine de coercition planétaire et d’une volonté de soumettre par la force et une contrainte aux formes multiples, ceux qui n’accepteraient pas ou mettraient en cause le leadership intégral de la superpuissance occidentale. Une telle doctrine se veut relever d’une vision missionnaire  que W. Bush exprime dans son discours sur l’état de la nation comme suit : « Nous avons compris, en un seul instant, que cela sera une décennie décisive dans l’histoire de la liberté, que nous sommes appelé à jouer un rôle extraordinaire dans l’histoire de l’humanité. Le monde ne s’est jamais vu placé devant un choix aussi clair et conséquent »(traduit par nous)

De tels fondements idéologiques ont trouvé une couverture et une prise en charge philosophiques et morales de la part d’une certaine crème du corps académique et intellectuel conservateur et néo-libéral américain dont certaines de ses figures éminentes comme Francis Fukuyama ou Samuel Huntington se sont particulièrement illustrées, depuis l’écroulement de l’URSS et du système socialiste, par leurs théories réductrices,  hégémoniques et sectaires. Cette couverture a été exprimée sous la forme d’une lettre ouverte portant le titre significatif : «  Ce que sont les valeurs américaines, ce pourquoi nous luttons » rappelant à la mémoire collective américaine, pour faire diversion et par  populisme , les temps où Roosevelt engageait les USA dans la deuxième guerre mondiale contre Hitler.

 

Cette doctrine vise aussi la maîtrise par les USA de la globalisation économique et politique. Cette maîtrise est entendue au sens de contrôle des processus fondamentaux de la globalisation pour les harmoniser et les soumettre aux stratégies du néo-libéralisme et non à celles d’un marché mondial équitablement régulé. Elle est conçue comme la pierre angulaire des processus opérationnels découlant de la doctrine . Elle entend s’exercer au niveau des orientations globales devant régir le monde de même que sur les axes névralgiques qui irriguent ou qui supervisent l’ensemble des réseaux complexes de la création, de la production, de la distribution et de la consommation que sont l’énergie, la finance, la technologie, les ressources humaines High-Tech et hautement spécialisées, la recherche-développement et l’innovation. Elle procède d’une démarche fondée sur la stratégie de l’ « unilatéralisme » s’appuyant sur les diverses formes de la contrainte et le recours à la puissance armée, même si elle s’en défend , face aux différentes pressions qui voient le jour au niveau de ses alliés les plus loyaux.

 

C’est ainsi ,par exemple, que l’on assiste à une  mutation fondamentale et subtile de la fonction du G7. Ce dernier, réunissant au départ les 7 Etats occidentaux les plus puissants, était conçu  par ses initiateurs le Président français Giscard d’Estaing et le Chancelier allemand Helmut Schmidt comme un forum d’échanges sur les grands problèmes économiques et politiques mondiaux. Il a pris, au fil de ses trois dizaines de réunions, la forme d’une véritable institution mondiale orientant et manageant les affaires internationales, soutenue en permanence par des cadres formalisés comme les conférences ministérielles, les comités ad-hoc etc. . L’administration américaine y joue un rôle de chef d’orchestre qui est en même temps le compositeur de toutes les partitions fondamentales. Les lignes de forces des orientations essentielles devant être examinées et adoptées par le G7 sont initiées par les centres du pouvoir américains. Elles deviennent déjà opérationnelles pour le compte des USA bien avant leur adoption par le G7.

 

C’est ainsi aussi qu’un accent tout particulier est mis sur la stratégie énergétique et sur le contrôle à très long terme des différentes sources d’énergies renouvelables et non renouvelables. Les USA et les autres membres du G7 considèrent que le niveau élevé et la volatilité du prix du pétrole sont l’une des causes majeures des processus de récession actuels. Le G7 de Gênes n’avait-il pas préconisé des mesures pour :

a)      augmenter et diversifier l’offre énergétique,

b)      améliorer le rendement énergétique,

c)      développer les infrastructures énergétiques et stabiliser les marché pétroliers.

Cela ne procède-t-il pas de la prévention telle que préconisée par la conseillère à la sécurité, une prévention musclée qui impose et ne partage pas, qui cherche la soumission au lieu de la coopération. Une telle prévention, au plan de l’énergie, axe névralgique par excellence, explique les redéploiements en cours autour de l’Asie centrale, les nouvelles fonctions commerciales attribuées à la Russie pour affaiblir et contrecarrer l’OPEP, la guerre que l’on prépare contre l’Irak ou l’Iran de même que la tentative de déstabilisation du Président vénézuélien Chavez .

 

La Stratégie de maîtrise par les USA de la globalisation économique et politique explique aussi le rôle moteur assigné à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce ) et les réadaptations en cours des institutions comme la Banque Mondiale (BIRD) ou le Fond Monétaire International (FMI). Ces institutions deviennent de véritables facteurs au service de l’exécution radicale des orientations du G7, c’est à dire au service d’un marché dominé par les processus spéculatifs et non au service d’un développement global équitable et justement réparti.

 

L’ONU, subissant le choc de la fin de la division du monde en deux blocs antagoniques et la perte de l’initiative des pays dits du mouvement de libération nationale, est ravalée à une chambre d’enregistrement des initiatives US comme nous le montrent ses engagements dans les Balkans, en Afghanistan ou maintenant en ce qui touche le conflit du Moyen–Orient .

 

La suprématie militaire des USA est le vecteur essentiel de la doctrine W.Bush. Cette suprématie est fondée sur une avance technologique considérable par rapport aux partenaires ou à tout ennemi potentiel ; sur une mobilité basée sur une maîtrise des mers, des airs et même de l’espace ; sur une grande capacité d’intervention rapide et sur l’efficacité de ses forces de frappes avec une capacité opérationnelle et logistique de minimisation des pertes .Alors que la fin de la guerre froide et la disparition de l’autre bloc de l’équilibre de la terreur devait signifier un développement de la détente internationale et d’un désarmement y correspondant, le congrès US, répondant aux vœux du Pentagone, augmentait sans cesse les budgets militaires au cours de la décennie 90 arrivant à une moyenne annuelle de 260 milliards de dollars. Un tel budgets a été porté cette année par l’administration Bush à 329 milliards de dollars et le secrétaire d’Etat à la défense, Donald Rumsfeld demande encore une augmentation de 48 milliards . Les USA  sont passés de 37% en l’an 2000 des dépenses militaires mondiales (756 milliards de dollars US),  à 40% cette année. En 2000 les dépenses militaires de la Russie s’élevaient à 6% du total mondial ,celles de la France à 5%, celles de la Chine à 3%. Ainsi les USA dépensent pour leur armée autant que les neuf pays du monde les plus importants .Il s’agit là d’un déséquilibre effrayant fortifié d’une manière accéléré depuis l’effondrement de l’autre superpuissance. Que peut-il signifier sinon une volonté d’occupation du terrain « libéré » et une stratégie de domination. L’accentuation de cette tendance depuis les événements du 11 septembre 2001 montre, à l’évidence, que l’objectif central poursuivi n’est pas seulement l’éradication du terrorisme, si tenté qu’on  puisse en venir à bout sans s’attaquer à un traitement de fond et adapté de ses causes profondes. Ce qui est visé, c’est la pax américana mondiale telle que W.Bush l’a formulée dans sons discours sur l’état de la nation : « Nous avons une grande occasion durant cette phase de guerre de conduire le monde vers des valeurs (américaines !) qui apporteront une paix durable »(traduit par nous).

Nous sommes témoins, face aux dangereuses évolutions auxquelles nous assistons, d’un aiguisement sans précédent de l’arrogance de la puissance des USA. Celle-ci est alimentée par un engagement et une influence décisifs du complexe militaro-industriel revenu aux commandes réelles. Ce dernier entend faire des multinationales qu’il contrôle de même que des capacités de recherche, d’innovation et de création des Etats Unis, les  leviers sans cesse renforcés d’une domination militaire  au long cours et les placer au niveau de fonctions motrices et dirigeantes des processus d’une globalisation aux couleurs américaines  .

Nous vivons donc, avec cette doctrine de W. Bush,  des temps historiques similaires à ceux où le dogmatisme idéologique primaire  appuyé sur le populisme et la puissance militaire et économique déclenchait des processus de domination et de guerre incontrôlables et que l’humanité a payé et continue de payer chèrement.

L’humanité a plus que jamais besoin de stabilité et de paix tant  les menaces naturelles qui pèsent sur elles sont grandes comme la destruction accélérée de la stabilité des systèmes écologiques, la désertification et la rareté de l’eau, l’explosion démographique caractérisant de nombreuses régions, l’extension considérable du sou-développement, de la pauvreté, de l’analphabétisme et de l’exclusion sociale, les dislocations des nations et les résurgences ethniques et tribales, les différenciations et les divisions continentales et régionales de plus en plus aiguës etc. Les besoins pacifiques de l’humanité sont multiples et surtout immenses. Mais ses richesses , pour peu qu’on les exploite avec intelligence, justice et équité sont incommensurables.

Les stratégies de domination et de coercition des Etats et des nations n’ont jamais résolu de façon durable les problèmes des peuples. Les valeurs relevant de la culture et de la modernité ne peuvent être imposées. Elles ne peuvent être que le produit complexe de la percée de la rationalité ,de l’intelligence et du savoir dans la tradition et dans l’évolution des identités.

 

 

 

 

 

FAUT-IL RÉFORMER OU REFONDER

24.08.01

 

FAUT-IL RÉFORMER OU REFONDER

 DANS NOTRE PAYS ?

 

Par Mahi Ahmed

 

L’utilisation des concepts dans les domaines qui touchent le présent ou l’avenir d’une société ,d’une nation , est toujours chose délicate . Les concepts , dans ce domaine précis , doivent correspondre , en principe , à une réalité donnée , de surcroît complexe et dynamique . L’acception donné à un concept acquiert , de ce fait , une fonction d’orientation qui , si elle s’empare des consciences peut marquer durablement le mouvement de l’histoire . Cela est particulièrement sensible en situation de crise profonde comme celle que vit notre pays depuis plus d’une décennie pour ne pas dire depuis l’indépendance . C’est le cas du concept de « réforme » qui est dangereusement malmené et galvaudé , en ces temps difficiles ,où l’attente de sortie de crise , de règlements des problèmes économiques , sociaux ,culturels , identitaires et politiques est très forte. Le terme « réforme » a été utilisé , dans notre pays particulièrement depuis la décennie quatre-vingts, avec une consonance souvent opportuniste , voire démagogique , chaque fois que l’aiguisement de la crise de l’État et les limites des orientations qui ont présidé à nos choix de développement depuis l’indépendance nationale faisaient apparaître une réelle menace pour la survie du système en place . L’acception donnée au concept réforme signifiait pour ses initiateurs plutôt l’engagement de processus de replâtrage , de greffe  au niveau des domaines considérés comme les plus sensibles . les réformes dites constitutionnelles , administratives , économiques , financières opérées au cours de la décennie 80 et au-delà , n’ont pas mis en œuvre des dynamiques de solutions radicales , c’est à dire à la racine du mal , des problèmes existants . Elles n’ont pas mis la société dans un mouvement d’organisation démocratique fondée sur des valeurs comme la liberté ,la justice , la justice sociale , la solidarité ,un mouvement capable de donner à la catégorie travail sa signification profonde de création de richesses matérielles , intellectuelles et même spirituelles et de combattre les fléaux que sont l’analphabétisme , le chômage,  la pauvreté , la corruption , le népotisme ,le clientélisme ,le régionalisme etc . Bien au contraire , même si les réformes engagées ont pu apporter quelques améliorations sectorielles rapidement rendue inopérantes du fait qu’elles ne touchaient pas la racine du mal , n’ont pu empêcher le pays de sombrer dans la crise la plus grave de son histoire post-indépendance .

Or l’acception la plus appropriée du concept  « réforme » serait la mise en mouvement de processus tendant à améliorer les situations ,à les adapter aux évolutions , à les porter vers l’avenir et à dépasser ainsi les problèmes et les difficultés repérés . De tels processus devraient découler d’une maîtrise approfondie et d’une appréciation objective de la réalité globale de la société algérienne et des réalités sectorielles en même temps que d’une vision cohérente , partagée démocratiquement , du développement futur du pays . Mais le caractère hégémonique et populiste du pouvoir du parti  et de la « pensée » uniques ( qui n’a pris que de nouvelles formes depuis la constitution du 23 février 1989 et l’instauration du soit-disant multipartisme ) ne pouvait être en mesure de procéder à une telle maîtrise et à une telle appréciation objective de la situation du pays. Cela aurait signifier la reconnaissance de sa faillite et la nécessité de son dépassement par un exercice réel de la démocratie . Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui , que la crise multidimensionnelle que nous vivons au plus profond de notre chair et de notre sang ,qui détraque nos cerveaux et nos intelligences , qui affaiblit et disperse nos capacités et nos possibilités de production et de création , qui met sérieusement en danger notre existence en tant qu’État et nation , est fondamentalement une crise de l’État . Ce constat , s’il est juste ,  mérite d’être approfondi et précisé au niveau de ses déterminants . L’État algérien ,diront certains , en tant qu’institution qui détient le monopole de la violence légitime sur un territoire dûment circonscrit et sur un peuple reconnu selon la définition qu’en a donné Max Weber ,a résisté aux évolutions et pu assurer sa sauvegarde et son caractère républicain et populaire . Mais si on veut retenir la définition de Max Weber de l’État , l’utilisation de l’adjectif « légitime » pose la problématique de la consécration par le droit ,c’est à dire de l’organe législatif , c’est à dire ,dans une république , de la représentation parlementaire ou de la démocratie dans son contenu et sa pratique. Nous touchons ici au déterminant , selon nous essentiel , de la crise de notre État qui est l’exercice démocratique . Il y a eu , chez nous ,au départ ,un dévoiement délibéré de l’édification démocratique de l’État et de la pratique démocratique .

Au lendemain de l’indépendance , l’Algérie comptait 10 millions d’habitants. C’était une terre marquée par huit années d‘une guerre totale. C’était une société désarticulée géographiquement et structurellement .C’était un pays dont l’organisation étatique hybride reposait sur le fond d’organisation étatique colonial et sur la superstructure politico-militaire du FLN-ALN et du GPRA reflétant le rapport de forces dominant. Une nation algérienne qui venait de sortir des ténèbres avec d’immenses espérances ,avaient besoin ,dans une telle situation , de l’édification d’un Etat moderne fort et d’un pouvoir visionnaire s’appuyant sur tous les ressorts vivants et porteurs de progrès de la société et requérant sans cesse leur légitimation. L’Etat moderne est la personnification de la nation dont il assure les évolutions intégrantes , tirées par la rationalité,  l’universalité,  la modernité et le progrès.

Les tenants du pouvoir, après l’indépendance ,en pratiquant un hégémonisme populiste sans bornes semblent avoir confondu l’édification de l’État national adapté aux conditions de l’époque et à leurs dynamiques d’évolution avec l’édification d’une administration nationale au service de leur logique de quadrillage autoritaire et répressif de la société.

La mise en place de l’Etat algérien indépendant s’est largement et longuement appuyée sur les structures léguées par le colonialisme. Elle s’est inspirée , par nécessité ,par urgence ou par commodité , du modèle français  en ce qui concerne les structures et certains fondements législatifs. Une telle mise en place ne pouvait , de ce fait , procéder d’une volonté de rupture radicale avec les symboliques et les représentations archaïques ambiantes. Elle ne pouvait procéder d’une dynamique d’intégration nationale et de fécondation culturelle portées par une identité ouverte sur la rationalité ,la science ,la modernité et traversant toute la société.

La modernisation d’une société par son Etat ne peut être qu’un processus , certes complexe et long ,délibéré et conséquent découlant d’une vision et d’un sens des perspectives historiques modernes du pays. Un tel processus ne peut être initié et conduit dans son cheminement que par de véritables bâtisseurs d’Etat légitimés en permanence par une pratique réelle de la démocratie. La symbolique de la modernisation a été manipulée dans nôtre pays. Une démarche conséquente de construction de l’Etat moderne dont avait besoin un pays comme le nôtre aurait supposé , par exemple , une prise en main appropriée ,  reposant sur des orientations de progrès et de modernités , des solutions de questions aussi sensibles et déterminantes que celles touchant au système éducatif , à la langue ( et aux langues) , à la culture et à la religion.

L’édification de l’Etat est intimement liée à la validation de la nation et à sa projection dans les champs de ses perspectives historiques en agissant sur les facteurs objectifs et subjectifs que véhicule le passé et en définissant et mettant en oeuvre un nouveau contenu  idéologique modulant favorablement les valeurs dominantes dans le sens de la rationalité ,du progrès ,de la justice sociale ,de la solidarité et de la modernité. C’est ainsi que se modulent ,se créent et se forgent l’identité nationale , les repères et les symboliques de progrès.

Une telle démarche doit reposer sur des politiques économiques, d’éducation et culturelles qui valorisent le travail,  rationalisent et sécularisent les rapports sociaux.

C’est ainsi que l’Etat , par l’action visionnaire du pouvoir qui le dirige , l’anime et le module , construit la nation , met en mouvement les flux objectifs et subjectifs qui doivent l’irriguer pour lui donner la vie ,forger son identité ,assurer son avancée dans le sens des perspectives historiques tout en veillant à assurer sa stabilité.

 Les faits montrent , à l’évidence que l’Etat algérien actuel est le produit de démarches hétérogènes . Celles-ci portent la marque d’un volontarisme livrant les ressorts essentiels du développement de l’Etat , de la nation et de la société aux impératifs de l’exercice du pouvoir et des équilibres opportunistes qui assurent sa pérennité .

Depuis 1999 nous assistons à une démarche persévérante consistant , sur la base de la conscience que l’État connaît une crise profonde ,à mettre en place des commissions chargée de réfléchir et de faire des propositions sur les réformes les plus appropriées à apporter à l’État , aux secteurs de l’économie , de la justice , de l’éducation . Ces commissions ont sans aucun doute travaillé dur et élaboré des rapports volumineux et certes de qualité . Mais qu’observe-t-on dans le réel qui ronge notre société ? .À peine le contenu du rapport de la commission sur le système éducatif connu ,un mouvement de forces conservatrices réclame son gel en mettant en avant le mot d’ordre de « l’école authentique » .Et le rapport est ,de fait , gelé par le pouvoir alors que tout le monde est conscient que le système éducatif est sinistré dans nôtre pays. La raison de cette situation est liée à la non existence d’une organisation fondamentalement démocratique de la société et de l’État et reposant sur une loi fondamentale portée par une vision concrète du progrès ,de la justice sociale et de la modernité ,c’est à dire une vision qui tire la société vers l’avant et non vers l’arrière .

Il en est de même des réformes économiques .Le bilan dans ce domaine est très alarmant .Il n’est pas besoin de donner ici des chiffres à ce sujet . Voilà plus de deux décennies que plusieurs formules de réformes ont été expérimentées aggravant encore plus l’efficacité de notre économie .L’efficacité et l’efficience d’une économie sont intimement liées à l’efficacité et l’efficience et à la maîtrise de leurs environnements intérieurs et extérieurs ,c’est à dire ,en particulier , à l’État .

Le mal est donc à la racine . La thérapie ,dans cette situation , ne peut être que de choc . La nécessité est impérative de dépasser la démarche des réformes partielles ou sectorielles et de s’orienter vers la création des conditions démocratiques pour refonder un État républicain , démocratique et moderne .  Refonder l’État républicain ,c’est le reconstruire sur la base des valeurs nouvelles  de la liberté ,de la démocratie ,du progrès ,de la justice sociale ,de la solidarité et de la modernité qui assurent à notre jeunesse ( qui fait notre peuple ) et aux générations futures de porter notre nation ,par le travail et le savoir , vers un  avenir toujours plus radieux .Refonder l’État républicain , c’est exprimer une volonté organisée de combattre l’archaïsme et l’utilisation de la religion de notre peuple à des fins politiques , c’est donc prendre la mesure de notre époque et surtout de celle qui attend les générations futures .  

REFONDER DÉMOCRATIQUEMENT L’ÉTAT

01.09.01

 

REFONDER DÉMOCRATIQUEMENT  L’ÉTAT 

 

Par MAHI AHMED 

 

Dans une contribution parue dans le quotidien d’Oran du 30 août 2001 avec le titre « Faut-il réformer ou refonder dans notre pays ? » , nous avons tenter de montrer que le déterminant essentiel de la crise profonde de l’État que nous vivons durement depuis des décennies , pour ne pas dire depuis l’indépendance , était la négation de l’exercice démocratique . Nous avons aussi avancé l’idée que la sortie de la crise nécessitait une thérapie de choc et imposait d’œuvrer à  refonder démocratiquement  l’État . C’est une condition essentielle .

Le processus de refondation de l’État ne doit pas être et ne peut être compris comme une rupture radicale à opérer dans la trajectoire de notre cheminement historique depuis l’indépendance nationale . C’est plutôt la traduction d’une prise de conscience large de la nécessité de fonder l’édification de notre État sur la base :

a)     d’une perception commune fine  des réalités actuelles et des évolutions à caractère  durable qui se dessinent à l’échelle nationale et mondiale et ,

b)     d’orientations et de valeurs partagées démocratiquement engageant le pays vers le développement global et l’avenir .

Cela exige de notre nation , si elle veut continuer d’exister et de se consolider et prendre une place agissante et positivement modulatrice dans les dynamiques de recompositions historiques imposées par  la mondialisation en cours , de disposer d’un État qui soit en mesure de l’organiser , de l’animer, d’assurer sa stabilité et de porter son génie créateur au niveau des impératifs du temps et de l’histoire . Une telle refondation de l’État doit savoir prendre en charge , sinon  sa validité serait gravement compromise , les points de force qui se dégagent de notre longue expérience sociale et nationale et qui se rattachent aux déterminants des valeurs découlant du choix de l’exercice démocratique. . L’État , nous devons tous le comprendre , n’est pas ,dans son essence et sa construction ,une institution neutre. Il est l’expression d’un rapport de force social et politique soumis , en principe , dans les États modernes , aux règles de la pratique démocratique . C’est un système d’institutions dont les orientations qui le déterminent , fixent et adaptent sa forme, sont le résultat des rapports démocratiques existants dans la société entre les différentes forces sociales et les organisations politiques défendant leurs intérêts respectifs , celui de la nation et du pays . L’État moderne n’acquiert la permanence de cette qualité ( de moderne) que si le rapport social et politique en évolution continue dont il est l’expression , est capable politiquement et sur le plan de la compétence de le soumettre aux adaptations ou aux réformes qu’impliquent les nécessaires mises à niveau de son efficacité et de son efficience . Car l’État ,en dehors de sa détention de la « violence légitime » , doit être aussi la puissance publique :

a)     concevant et réalisant (en tant que maître d’œuvre ) l’ensemble des services qui favorisent une organisation et une administration harmonieuses de la société , et qui soutiennent ses capacités de production ,de création et d’innovation ,

b)    réglementant et régulant le marché et les relations marchandes et non marchandes pour soutenir le développement global  et son efficacité , son efficience,  sa compétitivité etc

L’État constitue le centre à partir et  autour duquel s’articulent, directement ou indirectement , toutes les structures et tous les flux qui font la vitalité ou la stagnation des environnements nationaux ou internationaux de toute entité de production ou de service .De tels environnements , s’ils ne sont pas judicieusement adaptés aux exigences de qualité , de coûts ,de délais des entreprises et des institutions qui animent la société , c’est à dire aux exigences de l’efficacité ,de l’efficience et de la compétitivité , sont souvent la cause première des problèmes graves liés à la croissance ,à la productivité ,au niveau de vie ,  etc . L’État exerce une influence directe ou indirecte sur l’ensemble des activités de la société . De l’efficacité de l’État dépend , pour une part essentielle ,  le succès de notre système de formation au niveau de tous ses échelons , le développement et l’efficacité de nos infrastructures , de notre système de santé , de notre économie ,de notre culture etc . L’État , c’est avant tout , des hommes et des femmes qui le conçoivent ,le construisent et l’animent .C’est la nature du rapport social et politique qui peut s’établir démocratiquement dans la société ou qu’on lui impose souvent dans certains régimes autoritaires , qui détermine la nature et la qualité de l’État . L’État démocratique ,comme la démocratie sont des conquêtes de tous les instants arrachées , à l’hégémonisme  à l’autoritarisme comme à l’archaïsme et s’élevant ,par l’expérience ,la confrontation pacifique des idées et des projets s’inscrivant dans le cadre de la loi fondamentale , au niveau de culture qui assure l’alternance républicaine ,la stabilité et la validité des institutions .

La mise à niveau de l’État ,de même que sa transformation radicale sont aussi ,de nos jours , des problématiques qui sont au centre des efforts des États modernes dits démocratiques et développés confrontés aux profonds bouleversements provoqués par les processus complexes de la mondialisation Le courant néo-libéral qui imprime sa marque jusqu’à présent au cours de la mondialisation plaide pour toujours moins d’État pour favoriser les dynamiques du marché . L’expérience accumulée par les États et les forces politiques et sociales de tous les pays du monde montre , à l’évidence , que le cours actuel de la mondialisation a besoin d’être soumis à des réglementations et des régulations nationales et internationales qui pondèrent ,dans l’intérêt des États et de leurs rapports équilibrés , les systèmes du marché .Cela doit signifier ,en premier lieu , que le capital spéculatif international , dont l’action dévastatrice , particulièrement pour les pays dits émergents , est avérée , soit contenu dans son action , dans des cadres réglementaires qui réduisent qualitativement et quantitativement la spéculation financière internationale et notamment boursière et participent ,par leur caractère préventif aussi , à  assurer  aux pays , sur la base de leurs stratégies , un développement continu et , pourquoi pas , stable . Cela doit signifier aussi ,en deuxième lieu , que les règles de jeu de la concurrence internationale ,à tous les niveaux , obéisse à des règles transparentes et reposant sur un droit international rénové . La  fougue de la concurrence internationale ne doit en aucune manière ,pour nos pays , étrangler un développement adapté des marchés intérieurs .

Les pays développés qui sont le moteur de la mondialisation ne ménagent aucun effort ,sur la base de l’exercice démocratique , pour refonder leurs États et en faire de véritables organes ,complexes mais souples , administrant , organisant et impulsant ,aux niveaux requis , les différents rouages de la société qui relèvent de leurs fonctions essentielles . Ils veulent refonder leurs États pour développer leur efficacité, leur efficience ,leurs capacités d’innovations et de réactivité face aux mouvements , sans cesse accélérés , de la globalisation.

La nécessité de refonder l’État ,chez nous , repose sur trois objectifs :

1.     engager les forces politiques et sociales à fonder leurs organisations et leurs actions sur une loi fondamentale , fruit de leurs efforts communs , qui enracine et fortifie les valeurs républicaines modernes ,  qui fait du fonctionnement démocratique de notre société et de nos institutions une culture et une pratique profondément partagées et sans cesse développées et vivifiées  et qui soustrait la religion à toute instrumentation politique et idéologique .

2.     assurer une organisation de l’État et de ses institutions qui traduise l’esprit et la lettre de la loi fondamentale démocratique et qui soit orientée vers une compétence toujours plus améliorée de l’administration et de ses diverses fonctions de production de services , de réglementation et de régulation .

3.     orienter les compétences de l’État vers la création des conditions nationales et internationales qui permettent au pays de faire face avantageusement aux multiples défis de la mondialisation .

La refondation de l’État ,chez nous , ne peut être possible , dans la situation actuelle , que si les forces républicaines et démocratiques, politiques et sociales ,où qu’elles se trouvent, sont en mesure de rassembler leurs énergies et d’élaborer concrètement et clairement les points fondamentaux trouvant l’appui des plus larges secteurs de notre peuple et autour desquels peut être organisée la sortie de la crise actuelle , la sauvegarde et le développement de notre société et l’enracinement en son sein de la culture démocratique .La démocratie est certes un apprentissage permanent mais elle ne peut être l’œuvre que de véritables démocrates et ils sont  nombreux dans notre pays . 

 

Cette crise qui nous ronge

   

 

CETTE CRISE QUI NOUS RONGE

 

Par MAHI  AHMED (Dr.Ing.) 

 

La crise qui frappe sérieusement notre pays depuis plus d’une décennie perdure et ébranle dangereusement l’existence de notre Etat et de notre Nation. Les forces sociales et surtout politiques en présence, dans notre pays , apparaissent comme désarmées et désorientées devant la forme, l’étendue , la profondeur et la complexité de cette crise. Elles donnent l’impression, par leur action ou inaction, de discerner  à la surface  les causes qui l’ont enclenchée et transformée  en  ce tourbillon dévastateur à grande échelle et destructeur ,  à la longue, des racines fondatrices de notre société , de notre Etat et de notre Nation , c’est à dire de notre existence en tant qu’algériens, dignes continuateurs et héritiers de notre glorieux mouvement de libération nationale .Il est vital que prenne forme  le nécessaire sursaut salvateur  à partir  de tout ce qui est encore sain ,  rationnel et intégrateur en nous pour peu que nous sachions en prendre conscience et prendre conscience de la force qu’il peut représenter pour sortir avec succès de cette crise.

Une crise politique et sociale relève , en général,  du mouvement  de la vie des sociétés et des nations. Elle apparaît ,selon les formes qu’elle prend tout au long de l’évolution historique , ,comme une période décisive ou périlleuse  de cette vie. Une crise peut donc être dépassée pour peu que sa nature réelle soit  reconnue à sa juste mesure et dans toute son étendue par  les forces sociales et politiques en présence et soucieuses de l’avenir du pays. 

Il ne s’agit donc pas de se lamenter sur la crise que nous vivons et de signaler les formes de ses symptômes  mais d’en reconnaître les causes profondes et immédiates et surtout d’œuvrer à éveiller et raffermir les consciences et à rassembler le maximum de forces capables de dresser les contours d’une vision de projet de société de long terme permettant de tracer avec intelligence et réalisme les voies  pour en sortir. Une telle vision doit être puisée de notre histoire commune , de notre expérience partagée et diverse dans la construction de l’Etat et de la Nation depuis l’indépendance de même que de l’histoire et l’expérience universelles. Une telle vision doit surtout relever du génie de notre nation mue  par la rigueur du savoir et par  la profondeur de la culture de ses élites et de ses couches sociales les plus larges , par la mobilisation de l’intelligence et de la créativité , par le nécessaire réalisme et non par l’esprit de suffisance ambiant et si dévastateur.

Cette crise multidimensionnelle nous ronge déjà jusqu’à l’os et  l’écrasante majorité des algériens la ressent aussi dans son quotidien , dans sa chair et son sang. Nous risquons , si nous n’y prenons pas garde , et nous sommes à l’extrême limite du supportable , de nous transformer en autant de forces centrifuges emballant encore davantage le chaos qui caractérise actuellement notre pays.

Nous assistons , ces derniers temps , à l’approche d’ échéances électorales dites majeures  , à un formidable détournement, opéré d’une façon consciente ou inconsciente, des véritables problèmes que pose notre crise nationale . C’est comme si ces échéances électorales dites majeures pouvaient contribuer à la sortie de la crise alors qu’elles  sont une des nombreuses causes et manifestations de cette dernière .

Des appels divers , souvent à consonance lyrique et morale, rarement objectifs et concrets , sont lancés au fil de la montée en puissance des affrontements se déroulant au sein de notre société. Ces affrontements sont loin  de traduire, ni l’état réel de notre société , des problèmes liés aux différents rapports qui la régissent, ni surtout  ses besoins immédiats et de long terme et particulièrement du type d’Etat auquel aspire les forces sociales qui la composent.

Nous semblons faire comme si nous étions une société à part , détachée de son environnement international et des lignes de forces lourdes qui déterminent l’évolution de ce dernier et qui ont une  incidence décisive sur nôtre devenir.

Pourtant nous vivons, à l’échelle du monde, et chaque jour qui passe nous le montre avec force, des temps d’une très grande signification historique. Des événements et des évolutions d’une portée historique de long terme ont marqué fortement la dernière décennie du vingtième siècle. Ils continuent d’imprimer de leurs marques avec une accélération renforcée le millénaire qui commence . Nous assistons , défaits , impuissants et passifs à une recomposition globale des rapports de forces mondiaux, impulsés et modulés aujourd’hui  au gré des évolutions, par la superpuissance militaire , économique , politique et culturelle des USA dominée présentement par l’idéologie du néo-conservatisme . Nous subissons la fougueuse action des dynamiques de la mondialisation qui , détournées par l’action éhontée du capital spéculatif international et par les théories économiques néo-libérales , mettent l’économie mondiale en réseaux sévèrement contrôlés par un nombre toujours plus réduit de multinationales géantes  dont la structure et la répartition spatiale sont fonctions de leurs stratégies de long termes et de l’évolution de leurs avantages concurrentiels respectifs. Nous observons les coups féroces qui sont assénés à l’Etat nation  et à ses capacités de régulation ,sous couvert de l’ouverture et de valeurs universelles devant être partagées , notamment par des organisations multilatérales sous contrôle comme la BIRD , Le FMI, L’OMC etc. , . Nous observons amèrement au niveau des pays, des régions et du monde, la montée vertigineuse des inégalités ,du chômage de masse , de l’exclusion à grande échelle , de l’analphabétisme , des pandémies et de fléaux globaux de toutes sortes. Nous suivons, depuis le 11 septembre 2001 et l’émergence à une échelle globale des guerres asymétriques et des guerres préventives illustrées notamment par les attaques suicides du World – Trade - Center de New York  et par les guerres D’Afghanistan et d’Irak , la mise en œuvre d’une doctrine hégémonique de l’actuelle administration américaine visant à régenter le monde sous le modèle d’un empire de la post-modernité . Nous voyons poindre , se former et se raffermir les signes de développement de l’homme nouveau globalisé et individualiste et d’une culture et d’une civilisation fondée sur les valeurs néo-libérales  et sur le modèle de consommation de l’ « American Way of Life »  , ravageant sur leur passage et  avec leur ancrage les cultures et les identités nationales. Nous vivons dans un monde en ébullition historique annonciatrice de mouvements tectoniques de grande ampleur et de métamorphoses considérables des structures géopolitiques, géostratégiques et des formes de civilisations et de cultures.

Réfléchir sur la crise que connaît actuellement l’Algérie, nécessite , de ce fait , la prise en compte des tendances d’évolution historiques signifiantes , nationales et internationales , pour mieux saisir la densité et la complexité des dynamiques agissantes du passé et pouvoir doter d’une pondération réaliste les voies susceptibles d’ouvrir des perspectives capables d’intégrer avec efficience l’Algérie dans les challenges du 21é siècle.

Essayer de comprendre une crise aussi intégrale que celle que connaît l‘Algérie, dans le sens où elle est à la fois politique, économique, sociale, culturelle et identitaire, impose , en effet , d’interroger l’histoire dans son mouvement profond et actuel et de dégager les éléments montrant les racines profondes des évolutions que nous continuons de subir et que nous semblons incapables d’infléchir dans le bon sens de l’histoire. Or celle-ci  ne peut être que celle que dessineront les hommes et les femmes d’aujourd’hui et surtout de demain.

 

A )  De quelques racines de la crise:

 

La crise algérienne n’a pas commencée avec l’arrêt du processus électoral le 26 janvier 1992. Cette crise trouve ses racines réelles  dans l’histoire profonde de notre pays. Mais le mûrissement de l’éclatement de cette crise s’est réalisé par la conjugaison de facteurs internes et externes liés aux choix et aux moyens qui ont présidé à la construction de notre Etat et au développement de notre société après l’indépendance du pays.

Beaucoup a été écrit et dit sur cette crise. Des « spécialistes » et «  des experts  »  de l’Algérie ont émergé soudain de partout. Les approches développées sont aussi diverses que la complexité de cette crise et des intérêts qui s’affrontent dans et autour de notre pays.

Analyser cette crise et tenter l’essai d’avancer des pistes  pour en sortir , exige un recul dépassionné, des approches réalistes fondées sur une perception maîtrisée des lignes de forces qui caractérisent les évolutions dans la durée. Cela suppose un effort qui s’appuie sur des apports multidisciplinaires.

Il n’est pas inutiles de rappeler que les crises qui ont marqué notre après-indépendance, comme celles de juillet 1962 , de 1963 , 1965 , 1967 , 1980 et 1988 posaient certes , en termes aigus, des problèmes démocratiques ,sociaux et de pouvoir sans en donner toutefois une claire définition et une claire stratégie de mise en oeuvre. Elles ne remettaient jamais en cause clairement l’option pour un Etat national et républicain, bien que les concepts d’Etat et de république demeuraient ,en général à tous les niveaux , largement flous .

L’islamisme politique, catalyseur de la crise que nous vivons actuellement, pose , lui , en termes francs la remise en cause d’un tel Etat et son remplacement par un Etat islamiste de nature théocratique. L’émergence frontale de l’islamisme politique d’aujourd’hui ,et dans notre pays, est un phénomène politique totalitaire plus que religieux .Il tente  d’exploiter jusqu’à l’extrême, à des fins de pouvoir , le développement des exacerbations sociales et politiques qui atteignent , dans notre société,  des points de ruptures forts avec le système de pouvoir en place depuis l’indépendance. Il dévoie une aspiration profonde et de masse , diversement manifestée , à l’expression et à la pratique démocratiques.

On ne peut pas affirmer que l’Etat-nation républicain en construction depuis la guerre de libération nationale, répond totalement aux aspirations de la nation et aux normes de la République. Il représentait un choix qui a semblé, prés de trois décennies durant, procéder d’un consensus national .Il semblait être porté par le mouvement de libération national.

Il serait aussi utile de rappeler que les événements d’octobre 1988, sans parler de leurs soubassements politiques et sociaux qui sont majeurs, ont éclatés quand les capacités financières du pays ont été dangereusement malmenés par la spéculation sur le dollar et la manipulation géostratégique des prix des hydrocarbures, alors que la dette extérieure du pays et son service augmentaient à la limite du supportable et quand le pouvoir en place a démontré son incapacité à prévenir, à gérer et à résoudre les problèmes politiques, économiques sociaux et culturels qui prenaient forme.

Ces rappels ont été faits pour dire que l’analyse de la signification de l’ampleur du mouvement de masses mobilisé par et autour de l’islamisme politique après les évènements d’octobre 1988 et à la faveur de l’ouverture  « démocratique » opérée par la constitution du 23 février 1989 dépasse la réalité de l’émergence et de la cristallisation de l’islamisme politique.

Le caractère des formes violentes qu’a pris cette crise, sa durée, l’exacerbation des problèmes économiques et sociaux, la naissance difficile de véritables élites , de la citoyenneté et d’un mouvement démocratique puissant et pluriel de même que d’une société civile avertie, les difficultés qu’éprouve le pouvoir actuel à prendre l’initiative des changements radicaux nécessaires dans les fondements et la forme de notre Etat et à engager les transformations radicales politiques , économiques , sociales et culturelles qu’impose la portée d’une telle crise, sont autant d’éléments qui poussent à aller au plus profond des racines de cette crise. Il est nécessaire d’interroger l’ensemble de notre cheminement historique, les processus de formation de notre nation, de notre Etat et du développement de notre société.

L’histoire actuelle, suite à l’effondrement de l’URSS et des pays socialistes et aux répercussions sociales et culturelles de la révolution informationnelle et de la dynamique de la globalisation, nous montre amèrement comment les liens sociaux, culturels et même nationaux, pourtant considérés comme solidement portés par la conscience sociale , peuvent se distendre, se casser et déboucher même sur des tragédies de nature ethniques ou autres (ex:Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Russie , l’Afghanistan , le Congo , la côte d’ivoire , le Burundi , l’Iraq etc.)

Le terrorisme et la violence ne procèdent pas de la génération spontanée. Ils découlent de dynamiques exacerbées d’instabilité sociale, culturelle et psychosociologique. Ils expriment aussi des distorsions aggravées , longtemps socialement contenues , dans les processus de formation identitaire de caractère national. Les formes qu’ils prennent aujourd’hui, s’ils sont l’œuvre d’une instrumentation idéologique et politique de l’islamisme politique et de mécanismes divers d’intérêts intérieurs et extérieurs, ne peuvent cacher, malgré leur atrocité, les problèmes  de fond qu’ils posent. La compréhension de la crise ne peut être limitée à leur examen à la surface aussi minutieux qu’il puisse être .

Les premières questions qui doivent être posées, nous semble-t-il , en cassant à ce sujet les tabous, et auxquelles on doit tenter de donner réponse, semblent être  les suivantes:

1.      qu’en est-il de la nation algérienne au lendemain de l’indépendance?

2.      qu’en est-il du processus de construction de l’Etat national indépendant?

3.      Qu’en est-il du développement de notre société au cours de ces  décennies d’indépendance?

Le processus de formation de la nation algérienne obéit à un long cours. Les cohésions communautaires et d’intégration nationale se sont tissées au travers d’actions multiples de puissances étatiques diverses. Elles se sont opérées autour de l’histoire millénaire commune, de la culture berbère et principalement de la culture arabo- musulmane traditionnelle, de la préservation des langues parlées notamment l’arabe dialectal et le berbère. Ces cohésions se sont affermies dans la large et longue résistance à l’occupation coloniale française et ont subi l’influence de cette dernière. Il n’est pas possible et nécessaire, dans le cadre de cette réflexion, d’essayer de suivre et d’analyser le processus de formation et de développement de notre nation. Il serait par contre utile de dégager, au travers du cheminement historique, les processus qui ont entravé une telle formation ou qui lui ont imprimé certaines distorsions ou orientations particulières. « Pour comprendre le présent , il faut le situer par rapport à son origine  » . Cette origine ne peut être que l’intégration complexe de tous les facteurs à pondération lourde et durable du cheminement historique.

Trois processus historiques qui marquent fortement ,par leurs conséquences et  leurs empreintes  notre réalité d’aujourd’hui et qui en éclairent les causes profondes, peuvent être ainsi sommairement examinés :

 

I ) L’oppression  coloniale

 

On ne mesurera jamais assez la profondeur et la portée de l’action destructrice de la colonisation française sur notre peuple. Celle-ci  a été concentrée sur les facteurs vitaux de la formation de notre nation que sont l’unité historique, linguistique, culturelle et économique. Cette colonisation a déstructurée complètement l’Algérie et son peuple : oppression systématique, déplacement forcé de populations, spoliations de celles-ci de leurs terres, destructions des cadres sociaux traditionnels, sabordage ciblé de la langue et de la culture arabo - musulmane , de la langue berbère  et des traditions , divisions sociales et développement de la misère , analphabétisme organisé etc. Même la foi religieuse musulmane a été férocement et sournoisement attaquée par cette volonté de destruction de masse de la colonisation. Alexis Tocqueville disait en 1851:“Nous avons rendus la société musulmane beaucoup plus ignorante qu’elle n’était avant de nous connaître.“

L’analyse intégrée, sociologique , psychosociologique , anthropologique ,politique , économique, sociale et culturelle de la colonisation française reste encore à faire, particulièrement en ce qui concerne ses incidences sur les processus d’évolution post-indépendance de l’Algérie comme nation, Etat et société.

Le sabordage par la colonisation française de la langue courante de la grande masse du peuple algérien, l’arabe, dans sa forme écrite et parlée, la déstructuration de la personnalité et de l’identité algériennes par les coups violents et insidieux portés à l’existence et au développement de la culture arabo - musulmane dominante et de la culture berbère ancestrale , c’est à dire aux racines de notre évolution nationale, ont nourri dans la conscience sociale la colère , la violence et la radicalité d’un mouvement populaire  frontal et prenant des formes diverses face à l’occupant et développé des dynamiques multiples et diverses de résistance. Il faut entendre par radicalité cette exacerbation psychosociale et politique touchant de larges couches sociales et faisant mûrir et éclater  la contradiction principale les opposant aux forces dominantes (ici peuple algérien versus colonialisme ) , en bravant la rationalité des situations , des moyens et des perspectives historiques.

Les processus continus de formation et de consolidation de la nation algérienne ont été aussi mus et fortifiés par cette radicalité psychosociale et politique , attisée en permanence par l’idéologie et les pratiques coloniales oppressives . Ces processus ont consolidé et cristallisé la conscience sociale d’une unité  historique , linguistique,  culturelle et du territoire d’une même  communauté soumise au joug de l’oppresseur. Le développement d’une telle radicalité représentait, de fait, un mouvement de progrès dessinant déjà les processus de maturation et d’organisation de la lutte pour la libération nationale .

 

II ) Le mouvement national

 

Le mouvement national algérien moderne,  dans son développement historique ne pouvait s’inscrire, dans le feu des luttes politiques et révolutionnaires qu’il a menées face à l’occupant,  dans la légalité coloniale et se devait de recourir à l’action révolutionnaire. Il s’est appuyé, pour cela, sur les dispositions à la révolte radicale contre l’occupant qui se sont développées dans une population algérienne, égale dans une pauvreté croissante, analphabète à plus de 90% , foncièrement rurale et stagnant dans l’archaïsme. Les forces politiques algériennes nées à l’ombre de la légalité et sous les feux de la répression coloniales , n’ont pas pu ,en dépit de leurs trajectoires spécifiques ,de leurs divergences ainsi que de leurs limites idéologiques et politiques  et des crises majeures vécues face aux multiples épreuves et machinations de la colonisation , édifier avec succès ,le front démocratique de libération nationale dont avait besoin le peuple algérien. Elles n’ont pu ,tout au long de leur action , développer une véritable culture de l’union plurielle  , de l’unité d’action  , mue par l’engagement patriotique qui devait les caractériser , ni à faire  face unies, avec un sens aiguë de l’union patriotique, à  la radicalité de l’oppression coloniale ou à maîtriser en profondeur  la radicalité gagnant en ampleur et en sens historique de la société algérienne ,pour mieux mettre en valeur ,avec la vision du long terme tous les potentiels qu’elle recelait.

C’est dans une telle dynamique historique d’oppression coloniale et  de développement de l’aspiration à la libération nationale que s’est affermie  la nation algérienne.

Mais un tel affermissement, au niveau de la conscience de l’unité historique, de l’appartenance à un territoire commun, d’une évolution économique et sociale partagée, s’est fait avec des valeurs linguistiques , culturelles  et identitaires stagnantes. Ces dernières n’ont pas été radicalement intégrées ,au niveau de leur homogénéisation et de leur adaptation historique dans le caractère moderne de la dynamique de libération nationale et encore moins mis en rapport avec les nécessités qu’imposait une vision moderne de l’avenir.

Les dispositions à la révolte radicale qui se développaient au sein de notre peuple ont été, dans leurs ressorts positifs de résistance à l’occupant et de libération nationale, instrumentées ,consciemment ou inconsciemment , d’une part par une compréhension limitée et étroite de la politique et de la stratégie politique et d’autre part par un populisme radical et hégémonique dominant dans les directions successives du mouvement nationaliste . La politique se rattache , en principe , à la vision de l’organisation et de l’exercice du pouvoir dans une cité déterminée . La politique traite les réalités du présent tout en construisant , par la vision qui la porte , les conditions de l’avenir . La politique du mouvement national a été toute tendue vers l’objectif central de la lutte pour la libération du joug colonial . Cet objectif central  était juste et imposé par le contexte de la colonisation et de la guerre de libération nationale . Relever aujourd’hui , dans l’analyse historique , un tel populisme ou les faiblesses des orientations du mouvement nationaliste , ne peut signifier en aucune manière , une sous-estimation ou une dévalorisation de l’action anti-coloniale multiforme du mouvement nationaliste ,ni encore plus l’importance historique de ce mouvement et des dirigeants et militants , fils du peuple, qui lui ont donné naissance et mené jusqu’à la libération de notre pays.  cela représente seulement un effort critique pour essayer de comprendre, aux racines, les causes des courbes marquées de crises multiples de notre trajectoire historique. Analyser ce populisme en profondeur et avec réalisme , c’est à dire en tenant le plus grand compte de la complexité  des contextes, peut permettre , avec le recul d’aujourd’hui et l’expérience lourde vécue , de cerner avec une bonne dose d’objectivité, les distorsions aggravées enregistrées dans les processus d’affermissement de nôtre nation et de construction de nôtre Etat républicain.

Le propre du populisme est l’absence de vision stratégique cohérente et d’objectifs à long terme de transformation et de développement de la société, c’est à dire aussi de l’Etat et de la nation, dans le sens de la liberté , de la pratique démocratique , du progrès continu et de la modernité. Le populisme mythifie le peuple et le considère comme une entité politique homogène devant être dirigée par un parti et une pensée uniques. Le populisme craint le savoir et l’intelligence , et la vivacité de la pensée qu’il étouffe, opprime et réprime. Un tel populisme qui a caractérisé notamment la pratique politique du pouvoir en place et de l’appareil dirigeant du FLN après l’indépendance, a été continuellement adapté aux représentations symboliques  de nature archaïque et aux perceptions idéologiques fondées sur une  perception figée de l’Islam de la grande masse du peuple algérien. Le pouvoir et l’appareil dirigeant du FLN n’ont pas cherché à agir avec conséquence  pour contribuer à faire profondément évoluer, dans la liberté de l’action, ces représentations et ces perceptions idéologiques dominantes. Il se sont satisfaits, pour ainsi dire, de cette situation. Pour maintenir l’exercice du pouvoir, il ont eu recours à la coercition , à la répression de tout mouvement d’opposition à ligne officielle  et aux équilibres claniques et régionalistes qu’ils ont défaits et refaits au fil des évolutions des rapports de forces. Le populisme ne pouvait et ne peut  être source ni de progrès ni de modernité. Il tirait la société vers l’arrière. Il actionnait l’archaïsme de la société  en agissant avec démagogie , impulsé par une idéologie conservatrice,  sur ses vecteurs subjectifs et  psychosociologiques que sont l’attachement à la langue arabe, à la culture traditionnelle et à l’islam. L’hégémonie populiste ne pouvait libérer le potentiel libérateur porté par la résistance à l’occupant et le transformer en moteur de la construction d’une nation moderne, démocratique fondée sur le travail et aspirant avec conscience au progrès le plus général. La pensée unique nourrit l’autoritarisme et réprime toute velléité démocratique . Elle caporalise et déprave tout mouvement social. Il n’est pas dans notre intention , dans le cadre de cette contribution , d’illustrer l’expression et la pratique de cette pensée unique et d’un tel populisme au cours de ces décennies d’indépendance sous et dans le système de pouvoir en place. Sa marque a imprégné et  imprègne encore douloureusement tous les pans de notre développement économique , social , culturel et politique .

 

III) Les choix qui ont déterminé notre développement depuis l’indépendance

 

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie comptait 10 millions d’habitants. C’était une terre marquée par huit années d‘une guerre totale. C’était une société désarticulée géographiquement et structurellement :

Ø  par les déplacements imposés par la colonisation dans des camps de regroupement,

Ø  par une masse importante de réfugiés rentrés de Tunisie ,du Maroc et d’ailleurs,

Ø  par les maquis et toute l’organisation mise en place par la lutte de libération nationale,

Ø  par les espaces physiques , économiques , sociaux et culturels évacués par les colons et la population pieds-noirs, etc.

C’était un pays dont l’organisation étatique hybride reposait sur le fond d’organisation étatique légué par la colonisation et sur la superstructure politico-militaire du FLN-ALN et du GPRA reflétant le rapport de forces dominant. Le problème de la nature de l’Etat s’est posé dés le début avec une grande acuité. Rares étaient ceux qui, comme Abane Ramdane , Larbi Ben M’hidi dans le feu de la guerre de libération nationale ou Ahmed Medeghri au lendemain de l’indépendance , essayaient d’aborder en profondeur la problématique de l’Etat algérien indépendant.

 

III .1) la problématique de l’Etat

 

Une nation et un mouvement de libération national  sortis des ténèbres coloniales avec d’immenses espérances, avaient besoin, dans une telle situation, de l’édification d’un Etat moderne fort et d’un pouvoir visionnaire s’appuyant sur tous les ressorts vivants et porteurs de progrès de la société et requérant sans cesse leur légitimation. L’Etat devenant, ainsi , la personnification de la Nation dont il assure les évolutions intégrantes  tirées par la rationalité ,  l’universalité , la modernité et le progrès.

Les tenants des rênes du pouvoir, déjà avant l’indépendance  ont semblé, dans leur compréhension des choses , confondre l’édification de l’Etat national adapté aux conditions de l’époque et à leurs dynamiques d’évolution avec l’édification d’une administration nationale au service de leur logique de quadrillage autoritaire et répressif de la société. Les inflexions dans ce sens  ont commencé à émerger à la surface et à prendre de formes signifiantes et lourdes de conséquences historiques après le congrès de la Soummam et  au cours des processus engagés pour la mise en œuvre de ses décisions dont la plus importante est celle , certes complexe dans un contexte de guerre de libération nationale , se rapportant aux rapports entre le politique et le militaire. L’histoire de l’organisation politico-militaire ,  du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) , du Gouvernement Provisoire de La République Algérienne (GPRA ) , de l’Etat-Major Général (EMG) et de l’armée des frontières entre autres méritent d’être étudiée , analysée et rapportée à ses incidences dans les rapports de forces qui ont fait éclater le congrès de Tripoli à la veille de l’indépendance et donner la forme de système de pouvoir qui à régi notre pays depuis l’indépendance et qui donner forme au type d’Etat autoritaire qui n’a pas changé d’essence depuis.

La mise en place de l’Etat algérien indépendant s’est largement et longuement appuyée sur les structures léguées par le colonialisme. Elle s’est inspirée du modèle français  en ce qui concerne les structures administratives et les fondements législatifs qui « ne heurtent pas la souveraineté nationale » . Elle ne procédait pas d’une volonté de rupture radicale avec les symboliques et les représentations archaïques ambiantes. Elle ne pouvait découler aussi d’une dynamique d’intégration nationale et de fécondation culturelle procédant de la rationalité et traversant toute la société.

La modernisation d’une société par son Etat ne peut être qu’un processus, certes complexe et long, de rationalisation systématique, délibéré et conséquent découlant d’une vision et d’un sens des perspectives historiques modernes du pays. Un tel processus ne peut être initié et conduit, dans son cheminement, que par de véritables bâtisseurs d’Etat appuyés et légitimés en permanence par toutes les composantes du peuple. De tels bâtisseurs d’Etat existaient certes dans le mouvement national et ne pouvaient qu’être le reflet de la nation en mouvement .Ils étaient cependant réprimés par les visions populistes et hégémoniques dominantes .

La symbolique de la modernisation a été manipulée et dévoyée dans nôtre pays. Une démarche conséquente de construction de l’Etat moderne dont avait besoin un pays comme le nôtre aurait supposé, par exemple, une prise en main vigoureuse et appropriée, dans leurs orientations et dans leur traitement, des problèmes et des solutions des questions linguistiques, culturelles et religieuses.

L’édification de l’Etat doit être intimement liée à la validation de la nation et à sa projection dans les champs des  perspectives historiques de cette dernière en agissant sur les facteurs objectifs et subjectifs que véhicule le passé et en définissant et mettant en oeuvre les stratégies politiques, économiques, sociales et culturelles capables de moduler favorablement les valeurs dominantes dans le sens de la rationalité et de l’universalité. C’est ainsi que  se créent et se forgent l’identité nationale, les repères et les symboliques de progrès qui s’intègrent dans le cheminement historique de la nation et le forge en même temps.

Une telle démarche doit reposer sur des politiques économiques, d’éducation et culturelles qui valorisent le travail, rationalisent et sécularisent les rapports sociaux et conscientisent la liberté. L’édification de l’Etat véritablement national suppose l’existence et le respect de la liberté individuelle et collective de même que de la pratique démocratique.

C’est ainsi que l’Etat, par l’action visionnaire du pouvoir qui le dirige, l’anime et le module, construit la nation , met en mouvement les flux objectifs et subjectifs qui doivent l’irriguer pour lui donner la vie, assurer son avancée dans le sens des perspectives historiques tout en veillant à assurer en permanence sa stabilité. La stabilité de la nation ne peut être statique. Elle est dynamique comme la vie des différentes forces sociales qui la composent et de leurs rapports de même que des environnements dans lesquels elle baigne. Une telle stabilité relève des fonctions de régulation de l’Etat.

Les faits montrent à l’évidence que l’Etat algérien actuel est le produit de démarches hétérogènes. Celles-ci portent la marque d’un volontarisme actionné par un autoritarisme populiste livrant les ressorts essentiels du développement de l’Etat, de la nation et de la société aux impératifs de l’exercice du pouvoir et des équilibres de types régionalistes, claniques, familiaux et  parfois de caractère „mafieux“  assurant sa pérennité.

Notre Etat n’a pas changé de caractère , quant au fond , depuis l’indépendance, et ce malgré les colmatages et saupoudrages présentés , au fil des décennies , comme devant fonder et renforcer la démocratie et le pluralisme. La représentativité  « populaire » locale , régionale ou nationale ou même au niveau des corporations les plus diverses ou des associations à caractère sociales ou culturelle , procède , chez nous , majoritairement de l’illusion.

 

III.2) Les choix de développement

 

Il est vrai que les 25 années qui ont suivi l’indépendance étaient fortement influencées par les expériences des pays socialistes et les théories tiers-mondistes. Le développement économique mis en oeuvre s’en est pratiquement mécaniquement inspiré. Déclarant l’Etat entrepreneur général, l’Algérie a été engagée  , dés la fin des années 60 et particulièrement au cours de la décennie 70, dans une grande épopée de construction de plate-formes  industrielles et d’infrastructures, de projets de formation etc. . Une telle épopée visait, selon ses initiateurs, deux objectifs :

 

a)      le développement et l’intégration de la base économique , sociale et culturelle du pays,

b)      le développement du marché intérieur.

 

Cette action  a fait agir principalement deux facteurs:

 

a)      les richesses en devises disponibles ou potentielles générées par les hydrocarbures ,

b)      le savoir-faire étranger (projets clés en main, projets produits en main etc.).

C’est durant cette période que les meilleurs performances  économiques ont été enregistrées :

 

Ø  croissance rapide du produit réel de 7% l’an en moyenne

Ø  croissance de la consommation réelle par habitant de 4,5% l’an

Ø  réduction du taux de chômage qui passe de 32,7% en 1966 à 22,3% en 1977

Ø  la part du secteur public dans le PIB est passée de 34,07% en 1969 à 65,42% en 1978.

Ø  La consommation des ménages ,elle, s’est multipliée (à prix courants) par quatre passant de 12.0411 à 47.802 millions de dinars.

Ø  L’investissement total, en prix courants ,a été multiplié par 15 de 1969 à 1978.Il a parfois représenté plus de 50% de la PIB.Le taux d’investissement moyen de la période était de 45,71%.

Mais de tels résultats ,positifs et encourageants, relevaient , en quelque sorte , d’une démarche administrative de dépense, pour ainsi dire sèche, de la rente pétrolière. En effet , les conditions du développement de nos avantages comparatifs et concurrentiels par rapport au marché extérieur procédaient de l’aléatoire et d’une planification des ordres de priorité du développement national sans rapport approprié et stratégiquement défini avec les terrifiantes pressions de l’environnement international économique et politique . Les avantages comparatifs et concurrentiels qui résistent au temps et aux emballements et aux complexités des marchés sont ceux qui découlent en premier lieu, pour un Etat nation comme le nôtre, du développement de nôtre génie national, c’est à dire de nos propres capacités  de travail, de production , d’innovation et de création .   Il ne peut être question ici de dévaloriser l’engagement exemplaire et le savoir-faire accumulé de la plupart de nos cadres , à tous les niveaux , et de nos travailleurs. Cependant la construction d’un système productif est vouée à l’échec si  le management général de ce dernier n’est pas en mesure d’en tirer, avec efficience , les gains nécessaires à sa reproduction , son développement et à sa modulation en fonction des évolutions des marchés intérieur et surtout extérieur. Le capital , c’est à dire la capacité financière d’investir , n’est qu’un des facteurs et non le plus déterminant du système productif . Le procès  technologique ,son choix approprié et sa maîtrise de même que les capacités globales et sectorielles de management forment avec le capital, dans leurs relations interactives, le système asservi de toute entreprise et de tout système productif, matériel ou intellectuel, dont dépendent les résultats finaux de production et d’occupation des segments de marché ciblés. Capital , procès technologique et capacités de management représentent de même que leurs interrelations des facteurs complexes ,exigeant pour demeurer productifs et attractifs pour le consommateur et le marché des mises à niveau adéquates permanentes. L’édification d’une base industrielle moderne est certes ,à nôtre époque , une nécessité de première importance. Cependant cette base industrielle ne peut gagner une viabilité durable et acquérir la capacité d’intégration économique et sociale requise que si elle est adaptée avec bonheur au système productif globale de la nation . Nous mesurons avec amertume aujourd’hui ce qu’il est advenu, par exemple,  des théories sur le transfert de technologie que nous ont rabâché, à coup de millions voire de milliards de dollars, les multinationales et les experts internationaux en  management et en économie et stratégies industrielles.

Cette période des vingt-cinq années après l’indépendance , a été aussi marquée , sur le plan politique , par un pouvoir autoritaire exercé par le président Boumédienne, chef d’état-major de l’ALN et chef de l’ANP. Un tel pouvoir , de par sa nature , a exclu pratiquement la politique , c’est à dire la pratique de l’exercice du pouvoir au sens large , du champ social et a voulu imposer administrativement , par la coercition , ses visions et ses pratiques politiques qu’il considérait comme nationalistes , révolutionnaires et sociales. Il n’est pas possible, dans le cadre de ces réflexions, de développer et d’analyser l’ensemble des axes qui ont été mis en oeuvre par un tel pouvoir. Il est peut-être utile de faire ressortir les points suivants qui jette une lumière de plus ,à notre sens , sur les racines de nôtre crise actuelle:

 

a) entre 1967 et 1987, la population active passe de 2.300.000 à environ 5 millions. La population active occupée, elle, passe de 1.700.000 à 4 millions soit une croissance annuelle de 7% sur vingt ans. Cette croissance s’est faite massivement dans les activités non agricoles, principalement l’industrie. La part de l’agriculture dans l’emploi était de 49% en 1969. Elle est passée à un peu moins de 26% en 1986.

 

b) L’industrialisation a accéléré l’exode rural commencé au lendemain de l’indépendance. Les jeunes en particulier, se sont dirigés massivement vers les nouvelles zones industrielles aspirant à la stabilité du salariat, aux services et commodités offerts par les grandes agglomérations. L’accroissement annuel des effectifs urbains était de 4,8% entre 1967 et 1987. Les centres urbains représentent en 1987 49% de la population contre 40,4 en 1977 et 19% en 1954.

Ainsi le constat ,lourd de conséquences qui s’impose , est que 90% de la population se pressent sur la bande côtière.

Pour „lutter“ contre les disparités régionales et éviter l’asphyxie de la bande côtière le pouvoir a successivement :

 

Ø  lancé la construction des  1000 villages dits socialistes

Ø  modifié, par deux fois le découpage administratif pour „rapprocher l’Etat du citoyen“ et mettre à sa disposition les services réclamés( banques, postes, centre de santé) ,

Ø  multiplié les liaisons routières et aériennes.

 

Le nombre d’agglomérations de plus de 20.000 habitants passe ainsi, durant la période , de 74 à 115, soit un accroissement de 41%, celui des agglomérations de plus de 100.000 habitants passe de 8 à 16 soit le double.

 

c) En 1987, 90% des enfants en âge scolaire sont scolarisés. Si en 1963-64, 1.039.435 enfants sont scolarisés dans l’enseignement primaire et moyen, c’est 4.500.000 qui le sont à la rentrée 1987-88 avec pour cette nouvelle année 700.000 nouveaux inscrits en première année de l’école fondamentale(9 ans de scolarité obligatoire et gratuite).

 

Les indications qui précèdent mettent en évidence l’immensité des réalisations et traduisent l’énormité des tâches à faire porter par l’Etat et par la nation . Ces réalisations colossales gardaient, tout de même, un caractère quantitatif et matériel. Elles ne pouvaient relever d’un développement sociétal intégré. Elles devaient, pour cela, être guidées d’une part par un Etat correspondant au caractère moderne de ces facteurs de développement que sont l’industrialisation , l’urbanisation ,la démocratisation de la formation etc. et d’autre part accompagnées par les facteurs politiques , sociaux et culturels qui forgent la citoyenneté et édifie la société civile .

 

B) NOTRE CRISE EST D’ABORD UNE CRISE DE L’ETAT ET DU SYTÈME DE POUVOIR

 

Faire face à de telles tâches de développement et de construction de l’Etat et de la nation, aussi complexes et gigantesques, impose de les aborder  avec une maîtrise  profonde des dynamiques lourdes du réel au niveau de la nation et de l’Etat et à l’échelle du monde. Il faut entendre par dynamiques lourdes du réel, ces lignes de forces, à caractère objectif, qui émergent au cours du développement historique des sociétés ,des nations et de l’humanité et qui marquent durablement, c’est à dire pour une période historique longue, l’évolution, au sens général. Ces dynamiques du réel sont en quelque sorte les réflexions de  l’histoire dans le  réel vécu et qui marquent et modulent ,à des niveaux divers ,notre action , notre mode de vie et de pensée. Elles ne peuvent être figées. Elles portent la forme que lui impriment les générations successives en fonction des facteurs sociaux,  culturels et de civilisation nouveaux qu’elles auront intégrés. De telles dynamiques se rapportent aux traditions et aux cultures historiques ,au système économique dominant et déterminant les rapports économiques , sociaux , voire internationaux. La prise en compte fine de telles dynamiques lourdes du réel en mouvement permet d’affiner les visions et les objectifs stratégiques et de leur donner une forme réaliste en mesure d’emporter une adhésion consciente des forces sociales et politique en présence . Le réalisme suppose la profondeur dans la maîtrise des évolutions historiques . Il exclut le volontarisme débridé et surtout l’aventurisme. Il permet la recherche et la mise forme des compromis qui font avancer évitent la stagnation et fortifient sans cesse le dynamisme de la nécessaire stabilité de l’Etat et de la nation .

La conception en termes d’objectifs stratégiques , la programmation dans le temps et dans l’espace , l’organisation économique, financière , technique, culturelle et sociale de telles tâches de développement imposent avec force l’édification de l’Etat démocratique moderne agissant comme catalyseur de la nation et mettant en mouvement toutes les forces et potentialités qu’elle recèle. Les objectifs stratégiques touchant l’avenir proche et lointain de toutes les composantes de la nation doivent être le résultat de la modulation des trois facteurs suivants : 

Ø  les valeurs historiques partagées et cristallisées par les profondeurs de l’histoire commune,

Ø  les données générales sur l’Etat et  la nation telles qu’elles se présentent dans le présent et

Ø  les impératifs qui découlent de la perception et de la maîtrise des dynamiques d`‘évolution nationales et internationales  touchant le moyen et le long terme.

Basées sur la rente pétrolière et soumises à elle ,  les dynamiques de développement engagées par le pouvoir en place depuis l’indépendance nationale obéissaient à une gestion hégémonique et bureaucratique. Un tel développement a rapidement engendré ses maladies infantiles que sont la corruption, le népotisme ,le clientélisme ,le régionalisme, la stagnation et la faillite économiques , sociales et culturelles etc. ....Un tel développement ne pouvait être fondé sur le travail et la création des richesses nationales par le développement démocratique du génie national. Une telle orientation du pouvoir et de l’Etat ne pouvait être à la source et à la base de la construction de l’Etat moderne , démocratique et républicain dont la nation avait et a  besoin pour son affermissement et son orientation vers des perspectives de progrès  et de modernité réels.

Les crises qu’a connues l’Algérie en 1962 , 1963 , 1965 , 1967 , 1980 , 1988 et 1991 ont été des jalons qui ont marqué le développement de la radicalité psychosociale et politique dans notre société face à la nature de l’Etat et du pouvoir en place qui ne portaient plus les aspirations de très larges couches sociales à plus de progrès et de justice sociale voire de modernité. Ces crises et leur aiguisement mettaient à jour les graves failles opérées dans le processus de formation et de consolidation de la nation et les dangers de liquéfaction et de dislocation qui la guettaient .

Cette radicalité qui s’est développée, en prenant des formes diverses, au cours de notre cheminement historique a été attisée par la profondeur et l’ampleur des problèmes économiques, sociaux , culturels et identitaire qui frappaient de plein fouet de larges secteurs sociaux et principalement la jeunesse qui constitue l’écrasante majorité du peuple.

Cette radicalité a été prise en charge , idéologisée et instrumentée par l’islamisme politique tout au long de son évolution . Une telle prise en charge a été grandement favorisée par les dynamiques portées par la tradition et la religion réduites à une compréhension superficielle et archaïque et que les générations du mouvement national et de l’après indépendance n’ont pas su moduler avec la puissance de leurs aspirations au progrès ,à la justice sociale et à la modernité.

Le système de pouvoir en place , guidé par son caractère autoritaire et administratif et par un populisme primaire de même que par les intérêts colossaux qui ont été construits au fil des décennies de l’indépendance , ne pouvait comprendre la portée politique profonde de cette radicalité et encore moins initier et s’inscrire avec conséquence dans un effort ,énergique et conséquent d’édification d’un vaste rassemblement national et démocratique capable de prendre en charge cette radicalité, de la soustraire à l’instrumentation de l’islamisme politique et d’orienter et d’organiser les énergies et les potentialités qu’elle porte en faveur de la résolution démocratique des problèmes posés.

Notre classe politique et nos élites balbutiantes n’ont pas reconnu aussi et ne pouvaient pas reconnaître toute la profondeur et l’étendue de cette radicalité .Elles ne possédaient et ne possèdent pas encore ,à de rares exceptions prés , une vision de l’exercice et de la pratique démocratiques sous-tendue par un dénominateur commun qui est celui de la perception de l’Etat National constructeur de la Nation algérienne moderne , démocratique ,entretenant avec fierté et intelligence ses racines et son identité propre .

La crise que vit l’Algérie depuis 1992 est la plus grave de son histoire post-indépendance. C’est essentiellement une  crise profonde de l’Etat et du système de pouvoir. Elle met sérieusement en danger la nation dans son existence même. C’est aussi une crise globale qui frappe la société dans ses ressorts de cohésion et de solidarité les plus profonds . C’est une crise qui porte en elle , par l’aiguisement des multiples contradictions de caractère complexe qu’elle active , au niveau politique, économiques, social ,culturel et identitaire , des transformations et des évolutions qu’il est bien difficile de prévoir ou de déterminer , tant que les rapports de forces ou les consensus autour de la nature du pouvoir et de l’Etat ne sont pas réalisés par un large rassemblement de forces sociales et politiques en mesure de les mettre en œuvre . De telles transformations et évolutions peuvent aller dans le sens du progrès, de la démocratie et de la modernité comme dans le sens du recul historique , de l’hégémonisme et de l’archaïsme. Mais nous n’avons d’autres voies ,pour rester fidèles à la nature libératrice de nos combats nationaux et pour faire face aux défis de la mondialisation , que d’agir pour intégrer , par nous-mêmes et avec bonheur, notre société dans le progrès, la démocratie et la modernité .

 

C)  DE LA NÉCESSITÉ DU DÉPASSEMENT DE CETTE CRISE

 

Vivre une crise aussi grave que  la nôtre impose aussi , malgré la dureté des épreuves vécues , de la considérer comme une chance historique et de prendre le recul nécessaire, de tirer les véritables leçons du passé et de tracer , dans l’union la plus large possible , les voies pour en sortir et construire un avenir meilleur.

Cette crise a métamorphosé notre société . Elle l’a mûrie dans de douloureuses épreuves individuelles et collectives. Elle l’a engagée progressivement dans des processus de mutations profondes à caractère historique et de nature sociale, économique , politique et culturelle . Ces mutations apparaissent , en particulier , au niveau des différents détachements de notre jeunesse. On les décèle aussi au  niveau de certains groupes sociaux des générations qui ont subi les affres de la colonisation , participé, sous des formes diverses, au mouvement national et à la guerre de libération nationale, se sont engagés dans la construction de l’Etat après l’indépendance et dans les dures et complexes batailles pour le développement économique , social, culturels , pour la démocratie , le progrès et la justice sociale  et qui essayent , aujourd’hui , de prendre du recul pour réfléchir sur notre évolution historique et de tirer les enseignements nécessaires . De telles mutations exigent  une analyse approfondie et multidisciplinaire . Nous voulons cependant avancer, à ce sujet , les quelques éléments de réflexion suivants :

 

1. DE QUELQUES RÉFLÉXIONS SUR LES MUTATIONS EN COURS DANS NOTRE SOCIÉTÉ

 

Les algériens qui forment actuellement les immenses bataillons de chômeurs , ceux qui sortent, aujourd’hui, avec leurs diplômes des universités  ou des instituts et centres de formation professionnelle en trouvant, devant eux des perspectives bloquées ou ceux qui animent le marché informel ,si florissant et combien destructeur , au service de magnats de la corruption et de la rapine ,  n’avaient pas, pour la plupart d’entre eux , plus de quinze ans en 1990 lorsque l’islamisme politique algérien et international a montré ses griffes meurtrières  en se lançant à l’assaut de la république pour la remplacer par une théocratie anachronique. Notre République était loin de présenter toutes les caractéristiques et tous les insignes d’une véritable république du fait d’une évolution historique particulière à notre pays , de facteurs lourds qui ont marqué le développement de notre mouvement national et du système de pouvoir autoritaire et populiste qui s’est imposé depuis l’indépendance. Pourtant cette jeunesse entre 15 et 35 ans qui fait presque 40 % de notre population et qui  représente, en principe , la colonne vertébrale de notre société , a été livrée à elle-même et s’est trouvée durement confrontée à une réalité nationale marquée :

Ø  par la barbarie sanguinaire du terrorisme islamiste , plongeant le pays dans l’insécurité et l’instabilité,

Ø  par l’idéologisation et la politisation de l’islam par des forces politiques obscurantistes et intégristes cherchant à bloquer tout élan ,particulièrement dans la jeunesse , vers la rationalité ,le progrès et la modernité ,

Ø  par le blocage continu d’un Etat et d’un système de pouvoir arrivées aux limites de leurs capacités face aux évolutions complexes des radicalités sociales et politiques de même que de l’environnement international transformé radicalement par la fin de la confrontation des blocs et par les dynamiques de la mondialisation néo-libérale,

Ø  par un système économique national bloqué, improductif ,  excessivement endetté , inadapté aux exigences et défis des besoins sociaux et des marchés en dépit des multiples actions de réformes et de restructurations ou des fortes injections financières de l’Etat visant la promotion de l’investissement privé local et étranger de même que la création d’entreprises dans les secteurs de l’industrie , de l’agriculture ou des services .

Ø  par une croissance insupportable du chômage , de la pauvreté et de la cherté de la vie  , de l’émigration massive des jeunes et des cadres nationaux , des pandémies , de l’économie informelle enfantant de véritables mafias et nourrissant la corruption à large échelle, etc. ,

Ø  par un isolement international du pays, très coûteux et humiliant, imposé par les nouvelles stratégies des pays développés dominants qui n’ont pas pardonné à l’Algérie son militantisme tiers-mondiste et sa politique révolutionnaire et qui cherchent à faire soumettre ce pays rebelle et à le faire rentrer dans les processus de recomposition  et de stabilisation géostratégiques envisagés pour la région du Sud de la Méditerranée. L’organisation délibérée d’un tel isolement est argumentée par   la gravité de l’insécurité et de l’instabilité dans le pays. Les causes de ses dernières sont mises sur le compte du pouvoir et singulièrement de son cerveau et de sa colonne vertébrale que sont l’ANP et les services qui s’y rattachent. Le « qui tue qui » claironné continuellement par toutes les catégories des médias lourds de ses pays et par leurs « experts » de service , entend légitimer , en quelque sorte , la barbarie terroriste de l’intégrisme islamiste , aggraver les processus de déstabilisation en accentuant les pressions sur les axes économiques ,sociaux ,culturels et des relations internationales.

Ø    par un bouillonnement sourd qui prend souvent des formes diverses et parfois aiguёs de confrontation autour des rapports sociaux , familiaux , culturelles et politiques . Un tel bouillonnement reflète les processus complexes qui travaillent en profondeur la société , qui posent , en termes nouveaux chez nous , la problématique de la liberté individuelle et collective et de la démocratie . Ces processus mus  et accélérés par la contradiction ( s’aiguisant avec le développement des facteurs de modernisation de nôtre pays ) entre d’un côté les aspirations de  couches sociales de plus en plus larges à la tolérance , à l’ouverture , à un mode de vie moderne et de l’autre côté la résistance des forces sociales et politiques encore fortement tirées par l’archaïsme et l’obscurantisme ou influencées par l’islamisme politique.

Ø  Par l’existence ,d’une part ,  d’une classe politique officielle ,en grande partie administrativement créée  , aux ordres et corrompue, sans rapport avec la réalité sociale ,  imposée et modulée, quant aux fonctions  revenant à ses différentes composantes,  au gré des conjonctures et de l’évolution des rapports de forces par le système de pouvoir en place et d’autre part d’une société civile et de diverses forces politiques démocratiques et de progrès social naissantes et faisant face à la fois à la violence de l’intégrisme islamiste et au blocage de leurs activités , de leurs initiatives unitaires , de leur élan visant la rencontre avec la société par les appareils répressifs du pouvoir.

Une telle évolution des réalités de notre pays ,brièvement décrites, ne peut qu’aiguiser les interrogations de même que les processus de maturation de notre jeunesse .Celle-ci, dans son écrasante majorité , n’a  pas , malgré le blocage multidimensionnel auquel elle devait et doit encore quotidiennement faire face , sombrer et n’a pas suivi les appels des intégristes islamistes et de leurs organisations, dissoutes , semi-légales ou légales , de recourir à l’islamisme , au terrorisme et à la violence pour se libérer de la situation  imposée par le système dirigeant. Bien au contraire , elle a su , avec ses moyens propres et surtout avec la force de l’expérience vécue , opposer à la barbarie du terrorisme islamiste une résistance multiforme , à la fois active et passive .Elle a su aussi  indiquer aux tenants du pouvoir qu’elle était en mesure de percevoir et de comprendre dans leurs profondeurs les problématiques que posait la crise qui ronge notre pays comme celles :

Ø  de la nature de l’Etat ,

Ø  de la liberté et de la démocratie ,

Ø  du développement économique et social dans un monde subissant les assauts d’une mondialisation débridée , de la culture qui fortifie les identités par le savoir et la science et les inscrit dans les mouvements du progrès et de l’universalité.

Elle a montré et montre toujours, de diverses manières, la force de ses aspirations à appartenir à  une Algérie qui donne ,dans la pratique , leurs sens profonds aux concepts de libération nationale ,de progrès , de justice sociale , de modernité et à la construction de laquelle elle veut contribuer avec toutes ses forces .Son patriotisme trouve, sans nul doute , ses racines dans l’œuvre colossale réalisée par le mouvement national algérien tout au long de son histoire séculaire et plus particulièrement par les générations qui ont enfanté le 1er Novembre 1954. Mais ce patriotisme, exprimé dans l’obscurité d’une crise historique qui ne finit pas et qui ravage la nation , est moderne parce qu’il est justement rattaché à la sauvegarde de la nation par la nécessité de refonder l’Etat dans un sens réellement républicain et démocratique.

Ces mutations ,ces aspirations et ce patriotisme de notre jeunesse n’ont pas encore trouvé les cadres et les formes d’organisations en mesure de les prendre en charge et de les faire peser dans les confrontations en cours . Mais ils se reflètent et prennent ,malgré les apparences , des contours divers dans le quotidien au niveau de rapports familiaux contrariés , du rapport au travail et des relations de travail  (dans les villes ou dans les campagnes) , des écoles et des universités. Ils se reflètent aussi dans la vie et l’expression culturelles , dans les activités sociales et civiques etc. Ils se trouvent cependant dans une phase de formation qui requiert une action vigoureuse ,claire dans ses objectifs et portée par une vision stratégique, des facteurs nécessaires à la consolidation et à l’élargissement de son affirmation et qui sont liés aux problématiques que pose notre crise. 

Notre jeunesse a  montré toutes les énergies et les potentialités qu’elle recèle dans les épreuves multiples vécues par notre peuple . Son engagement spontané et massif a été exemplaire lors des catastrophes naturelles provoquées par les inondations ou les séismes. Elle a signifié ,dans l’engagement , sa maturité et son  niveau de conscience par les actions politiques , sociales ou culturelles qu’elle initie :

 

Ø  pour le développement du mouvement associatif,

Ø  autour de l’exercice démocratique, des droits de l’homme ,du code de la famille ,de la liberté d’expression et des droits des journalistes , de la liberté et des droits syndicaux etc.

Ø   pour soutenir et s’engager dans des mouvements de masse à caractère démocratique comme en Kabylie ,   comme celui des journalistes ou comme  les grèves  des enseignants , des cheminots etc.

 

La jeunesse , dans toute  société ,veut forcer le temps parce qu’elle cherche son affirmation et rêve de son avenir. Elle ouvre ses yeux  et tous ses sens sur la vie, capte, avec toute son innocence et sa naïveté , les réalités en mouvement et cherche ,de manière différenciée, à les comprendre. Elle se rebelle tout naturellement contre les tares et les contradictions criardes  qui marquent le présent de même que le passé , proche ou lointain.

La jeunesse est le maillon le plus précieux qui assure, en la marquant de ses propres empreintes, la continuité ,voire la pérennité d’une société (ou d’une nation) . De la manière dont elle sera préparée ,dans la conscience et non dans la contrainte , à prendre le témoin , dépendra la réussite et la performance du relais de l’histoire.

Lorsque l’hégémonisme , le populisme et l’obscurantisme,  s’emparent du pouvoir ou  l’influencent, marginalisent la jeunesse ,  méprisent le potentiel d’énergie et d’intelligence qu’elle recèle , répriment ou  cherchent à instrumenter ses élans , c’est le retard historique qu’ils produisent. Ce dernier sera encore plus grave et durable si les forces sociales et politiques porteuses de la démocratie , du progrès et de la justice sociale ne renforcent pas leur unité d’action et leurs capacités de mobilisation pour  ouvrir à cette jeunesse des voies qui développent son expérience, aiguisent sa conscience et donnent un sens à son action pour forger son devenir.

Les algériennes et les algériens qui ont moins de 50 ans aujourd’hui, représentent plus de 80% de notre population. Ils n’ont connu directement ni les affres de la colonisation , ni les processus de formation et les luttes sévères du mouvement national , ni la guerre de libération nationale ,son héroïsme et  son impact sur l’évolution historique de notre pays . Ils sont  les purs produits de l’Algérie indépendante .Ils forment surtout la nouvelle société algérienne , une société qui porte les lourdes marques de la nature du pouvoir mis en place et des orientations qui ont présidé à la construction de l’ Etat et des choix de développement économique , social et culturel. C’est une société dominée par un système de pouvoir de nature autoritaire, désarticulée et sans perspectives, où ont émergé à la surface sous des formes et avec des intensités diverses , particulièrement au cours de ces quarante années d’indépendance, d’importants facteurs de déstabilisation tirant vers l’arrière , faute de pratique démocratique , d’orientations et de solutions adéquates. L’absence d’une prise en charge déterminée et unitaire de ces facteurs met sérieusement en danger la nation. De tels facteurs se rapportent notamment :

 

a)      à la nature de l’Etat et du système de pouvoir ainsi qu’à la place et à la fonction de l’ANP ,

b)       aux choix  du modèle de développement ,à la structure sociale et au rapports sociaux ,

c)      aux problèmes de la culture et de l’identité nationales ,

d)     au statut de la religion,

e)      au traitement de notre histoire

 

L’aiguisement objectif ou délibérément négatif de ces facteurs leur donne souvent des formes qui aggravent les tensions, déjà insupportables, et qui détournent des nécessités historiques pour dépasser et sortir valablement de notre crise , faire recouvrer à notre pays la stabilité dynamique et la sécurité dont il a tant besoin pour avancer. Les générations qui ont vécu l’oppression coloniale et surtout celles qui ont participé  à la guerre de libération   et à l’édification nationale après l’indépendance se réduisent en nombre de jour en jour. La plupart des femmes et des hommes qui les composent et qui n’ont pas fait un commerce de leur engagement, observent, avec des sentiments et des convictions contrariés , la nouvelle société algérienne qui  émerge . Les dures réalités de notre crise les mettent à  rude épreuve. Ils ne peuvent pas étouffer leur fierté d’avoir contribué à arracher l’indépendance et de vivre une Algérie, comme Etat et Nation , qui cherche sa voie et ses marques ,au gré de l’évolution historique tortueuse et des conjonctures complexes. Il ne peuvent aussi ne pas percevoir et comprendre la profondeur du fossé qui sépare les aspirations qui ont porté leur engagement révolutionnaire des réalités de l’Algérie d’aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux se sentent interpellés. Leur souffle patriotique et militant a été broyé ,au cours de ces décennies d’indépendance par les coups insidieux d’un système de pouvoir autoritaire , hégémonique et foncièrement populiste. Ils sont , à des degrés divers , préoccupés par  la situation précaire et par l’état de désorientation des générations de l’indépendance. Certains d’entre eux interviennent de plus en plus activement :

Ø  pour apporter leurs contributions à la clarification ,à l’écriture et surtout à la transmission de notre histoire moderne en donnant tout leurs sens aux concepts de patriotisme et de citoyenneté,

Ø  pour participer aux débats et aux luttes qui se développent autour de notre crise et des voies pour en sortir en refondant un Etat réellement républicain et démocratique,

Ø  pour tisser les indispensables jonctions avec les jeunes générations autour des valeurs qui renforcent la nation et l’identité nationale en les inscrivant dans le temps , qui fortifient la liberté et la conscience, qui développent et déploient la démocratie , qui multiplient et accélèrent le savoir et la science ,qui favorisent le progrès et font reculer l’archaïsme.

 

2. LA PROBLÈMATIQUE DU CHANGEMENT DU SYSTÈME DE POUVOIR

 

L’évolution historique de notre pays ,quelques soient les courbes qu’elle a ou qu’elle produit , est la nôtre .Elle est celle de notre passé et surtout celle  que produira notre réel en mouvement . Elle est celle de notre développement économique , social et culturel . Elle est celle de nos capacités à la comprendre , à la rendre intelligible et surtout à la transformer. Nous n’avons d’autre choix que de l’assumer , telle qu’elle est , avec ses points forts ,ses points faibles ou même ses points noires. L’assumer signifie d’abord reconnaître qu’elle relèvent de nous en tant qu’Etat et nation . C’est aussi être déterminé à la traiter ,à l’analyser de façon critique , à prendre tout le recul pour en tirer les enseignements qui s’imposent et à construire les voies qui permettent de repérer , en profondeur, les racines des faiblesses qui l’ont entachée , de corriger les orientations qui ont été à la source des crises vécues  et de tracer les voies pour aller de l’avant dans le sens ,de la démocratie , du progrès et de la justice sociale.

Une telle prise de conscience se forme , peu à peu , dans les différents secteurs de notre société au fur et à mesure du développement de la crise , de son aggravation et des blocages qui se dressent devant les efforts multiples pour en sortir . Cette prise de conscience s’ aiguise aussi  avec  l’expérience accumulée dans les formes d’exercice démocratique ouvertes après les événements d’octobre 1988 et la constitution de 1989 . Une telle expérience, malgré ses limites ,  fait percevoir aux forces politiques et sociales qui s’organisent et qui imposent leur existence par une légitimité sociale renouvelée sur le terrain des luttes , l’importance de la démocratie et de rapports démocratiques réelles pour sortir de notre crise et édifier notre pays avec un système social et de pouvoir démocratiques . Ces forces saisissent, de mieux en mieux, que la démocratie est une chance historique et qu’il faut être capables de favoriser positivement et avec réalisme les processus complexes de sa construction. 

Cependant, construire la démocratie, dans un pays comme le nôtre et dans notre situation actuelle, exige , de nous tous et surtout de ceux qui dirigent les institutions et les forces politiques et sociales véritablement nationales , une forte dose de réalisme patriotique. Ce dernier est imposé en nécessité par la gravité et la complexité de la crise et surtout par l’urgence de lui trouver des directions de solution . Le réalisme patriotique ne peut signifier ni le renoncement ni même la liquéfaction de ses convictions idéologiques , politiques ou sociales. Il est la condition d’engager les changements radicaux dans la nature et la forme de notre Etat et dans la nature et la forme de système de pouvoir devant conduire notre société . Or le changement ,même s’il doit être radical et il doit l’être dans notre situation , procède de la durée et de processus complexes d’ordre idéologiques , politiques , économiques, sociaux ,culturels etc.. Le changement , c’est le passage d’une situation donnée, jugée insatisfaisante ou dangereuse pour l’évolution ou la survie d’une nation , à une situation nouvelle, accrochée à l’ancienne, nécessitant, pour sa  mise en place et sa stabilisation , des accords reflétant les forces politiques et sociales engagées dans l’option du changement sur les éléments essentiels suivants :

a)      l’analyse de la situation dans le pays et des dynamiques lourdes internes et externes qui la déterminent,

b)      la vision qui fonde le changement voulu et les objectifs stratégiques de moyen et de court terme qui en découlent,

c)      les acteurs devant conduire le changement , c’est à dire les institutions et les forces politiques et sociales ,

d)     les formes d’organisation et de rapports devant présider aux différentes phases de la mise en place du changement.

Ainsi le réalisme patriotique constitue cette position, éminemment politique, qui inscrit ,au cours des phases de la construction du front démocratique du changement de même qu’au cours des étapes de réalisation du changement, l’ordre des priorités et des objectifs du groupe politique ou social auquel on appartient ou duquel on se considère le plus proche, en rapport étroit avec les facteurs qui promettent le rassemblement le plus large pour la sauvegarde et la consolidation d’une nation qui avance et qui rejette la stagnation et l’archaïsme. Le réalisme patriotique , c’est la capacité de défricher la complexité , de rendre plus claire pour le plus grand nombre,  son intelligibilité et de donner aux radicalités qui s’y manifestent un sens adéquat découlant de la maîtrise du réel en mouvement. C’est la force ,pour un pays comme le nôtre, qui permet d’asseoir la démocratie et de donner vie à une pratique démocratique productrice de progrès et de justice sociale.

Nous sommes arrivés à une étape où nous observons tout à la fois  les évolutions dangereuses de la crise , les mutations profondes qui se sont engagées au sein de notre société , l’émergence progressive d’une société civile et de formations politiques et sociales qui rejettent  l’instrumentation politique de la religion et le recours à la violence et au terrorisme et qui veulent agir pour la construction d’une Algérie démocratique , moderne et jalouse de ses insignes identitaires  . C’est une étape qui mûrit, plus  rapidement et plus largement qu’on ne le pense, la nécessité d’un changement radical au niveau de l’Etat et du système de pouvoir.

Engager les indispensables processus d’un tel changement exige une volonté politique déterminée et un sens aiguë des accords ou des compromis qui font avancer. Cette volonté doit être d’abord celle de ceux qui  impulsent et dirigent réellement le système du pouvoir et qui prennent conscience du caractère impératif de la nature et du contenu du changement à opérer. Elle doit être aussi celle de toutes les forces politiques et sociales qui entendent participer pour refonder l’Etat et lui donner un véritable caractère républicain et démocratique.

Initier le changement et persévérer dans sa réalisation ,en dépit des difficultés et des obstacles multiples , cela signifie aussi casser les tabous , vouloir et savoir communiquer, développer les échanges en respectant les positions de l’autre et être en mesure d’aboutir à des conclusions et à des décisions pour l’application desquelles on se considère engagé.

Vouloir refonder l’Etat , ne peut être , dans notre cas,  que se placer dans une perspective d’avenir ,c’est à dire celle du 21è siècle si nous voulons survivre avec ce que nous représentons comme histoire millénaire ,comme culture et surtout comme potentiels ,donc comme nation et société . Le siècle qui commence est  et sera marqué par des dynamiques d’évolution en même temps lourdes et accélérées , modulées par  une indescriptible explosion du savoir , des sciences et des techniques , mais surtout de la productivité et de l’organisation du travail réduisant le temps productif à en deçà du milliardième de seconde. C’est le siècle de la digitalisation sans frontières où tout risque ,si on n’y prend pas garde , d’être digitalisé  , le système productif  comme l’être humain , sa pensée et ses modes d’expression. C’est le siècle ,dit-on , de la globalisation. Celle-ci porte déjà fortement les marques et l’hégémonie coercitive d’un néo-libéralisme internationaliste et déchaîné recherchant le profit le plus fort et produisant, avec les arguments des avantages concurrentiels , de la flexibilité , du management moderne à l’américaine  , un développement planétaire à plusieurs vitesses générant la massification globale du chômage , de l’exclusion et de la déchéance sociales et culturelles de même que l’instabilité internationale voire le fondamentalisme ,l’intégrisme religieux et le terrorisme mondialisé . C’est le siècle de tous les combats pour éviter que l’humanité ne se déshumanise  en radicalisant l’individualisme pris en charge par une civilisation du chaos fondée sur le paradigme de la consommation. C’est dans ces combats , pour la libération  et le développement économique , social et culturel réels et pour la justice sociale, que notre pays doit retrouver une place véritablement productive au sein de ce large et irrésistible mouvement planétaire qui naît de partout et au sein de tous les peuples pour rejeter la globalisation néo-libérale sauvage , remettre l’Etat nation dans sa nécessité et ses perspectives historiques et construire, avec l’effort de tous, un monde multiculturel de paix et de progrès social .

C’est dire que les choix stratégiques et la plate-forme unitaire de refondation de notre Etat doivent procéder, dans leurs contenus , leurs formes et les moyens de leurs mise en oeuvre d’une telle volonté.

Mais pourquoi la perception de plus en plus consciente et approfondie, par de larges secteurs de notre peuple,  des problématiques majeures que pose notre crise ne trouve-t-elle pas , sur le terrain,  une traduction pratique en mesure d’enclencher les processus du changement radical de système de pouvoir dont notre société a besoin? Cela est lié à de nombreux facteurs parmi lesquels les trois suivants :

 

a)      l’absence d’une analyse fine et largement partagée sur la nature de l’Etat mis en place depuis l’indépendance et de la place et du rôle que joue l’ANP dans le système et l’exercice du pouvoir,

b)      l’émergence difficile , à cause du système de pouvoir en place , d’une classe politique et d’une société civile réellement démocratique légitimées par de larges secteurs de la société,

c)      le statut de la religion et le traitement de l’histoire .

 

Ces trois éléments soulignent la nécessité et les contours de la phase de transition par laquelle nous devons impérativement passer pour aller vers le changement de système de pouvoir ciblé. La phase de transition est partie intégrante des processus engageant le changement et doit procéder de la vision fondamentale qui le porte .

 

3. LA QUESTION DE LA TRANSITION

 

La constitution adoptée le 26 janvier 1989 aurait pu marqué  le début d’une phase de transition vers un système de pouvoir et un Etat démocratiques si les deux points décisifs suivants y avaient trouvé un traitement clair  tant au niveau du contenu que des modalités législatives et exécutives de leurs mises en oeuvre :

 

a)      La question des pouvoirs , de leur séparation et de leur transparence ainsi que la place et rôle de l’ANP en liaison avec le rôle historique qu’elle a joué et joue encore dans l’édification de notre jeune Etat indépendant,

b)      Le statut de la religion et la position à l’égard de son instrumentation idéologique et  politique.

 

Cette constitution de même que celle qui l’a suivi ne pouvaient  du fait du blocage entretenu par le système du pouvoir  sur ces deux points ,engager l’Algérie dans des dynamiques d’une véritable pratique démocratique , vivante, productive et efficiente . L’exercice réel du pouvoir a gardé son caractère non transparent . La hiérarchie supérieure de l’ANP a continué et continue d’être considérée comme le centre véritable du pouvoir.

L’expérience amère  que nous vivons depuis plus d’une décennie a mis clairement en évidence que L’ANP et l’ islamisme politique sont ,à des niveaux qualitatifs différents , deux  facteurs importants et même décisifs de notre crise  . Ces deux facteurs  ne sont en aucun cas comparables et surtout ils ne sont pas les seuls.

 

3.1 : L’ARMÉE NATIONALE POPULAIRE ET LE POUVOIR

 

Les faits historiques montrent que notre mouvement national, au fil des étapes qui ont préparé et conduit la guerre de libération nationale, n’a pas su définir et surtout imprimer dans la réalité, et de façon créatrice , les justes rapports démocratiques  entre le politique et le militaire et donnant la primauté au politique. Le congrès de la Soummam  et la plate-forme qu’il a adopté ont essayé ,sous l’impulsion d’Abane Ramdane en particulier, de définir de tels rapports , en procédant de la vision consistant à édifier, y compris dans les processus difficiles de la lutte révolutionnaire,  la nature républicaine ,démocratique et sociale du futur Etat algérien indépendant.

La politisation de l’ANP et son rapport avec l’exercice du pouvoir réel relèvent d’un processus historique complexe. Celui-ci est étroitement lié aux processus qui ont marqué notre mouvement de libération national et notre guerre de libération nationale. Il se rattache aussi  aux dynamiques qui ont concouru à l’émergence de notre jeune Etat , à son édification compliquée dans un monde qui a été dominé par la guerre froide et l’action de deux systèmes sociaux mondiaux antagoniques et qui est aujourd’hui sous l’influence pesante  et à potentialités dangereuses d’une mondialisation chaotique initiée par le néo-libéralisme  .  Il est à mettre en outre en rapport avec la naissance difficile et continuellement réprimée de réelles forces politiques et sociales démocratiques de même que d’une réelle société civile.

Il ne nous est pas possible , dans le cadre de cette réflexion , de procéder à une analyse des étapes marquantes , à signification politique , qui ont jalonné l’histoire de l’ANP et son rapport au pouvoir . Mais on peut affirmé que l’histoire de l’action politique de l’ANP ne peut être détachée de celle de l’ensemble de la société . Aucune armée dans le monde moderne ,si elle veut remplir la fonction qui lui est impartie par l’Etat ,  ne peut se désintéresser de tous les aspects économiques ,sociaux , culturels et politiques qui touchent aux objectifs stratégiques de défense nationale. Mais cela ne peut vouloir dire que l’ANP n’a assumé depuis l’indépendance que sa mission de défense nationale .

L’ANP est certes une institution  de l’Etat algérien . Elle a une mission de défense nationale qu’elle assume au sens profond et large du terme. Elle est essentiellement formée de recrues du service national qui lui confèrent son essence populaire C’est une armée qui essaie continuellement de se moderniser et d’être à la hauteur des défis qui touchent de prés ou de loin sa mission fondamentale  . Elle a les faiblesses d’un corps régi par une organisation pyramidale mue par la philosophie de la discipline militaire telle que comprise et appliquée par la hiérarchie aux différents niveaux. Elle a les faiblesses d’un corps  ayant la force des armes et pouvant être doté d’un pouvoir de coercition, c’est à dire des faiblesses inhérentes à l’autoritarisme et à l’exercice ou à l’influence du pouvoir , aux passe-droits ,à la corruption au népotisme ,au régionalisme etc. .Elle a les faiblesses découlant de visions nationalistes étroites ou d’une certaine perception de l’exercice démocratique et de la modernité qu’ont pu et que peuvent  encore avoir certains de ses chefs. L’efficacité et l’efficience de l’ANP ,la courbe de son engagement révolutionnaire et patriotique ont toujours été fonction de la personnalité , de la compétence et de l’engagement de son chef réel , c’est à dire du chef d’état-major .

L’ANP est intervenu avec toutes ses forces sur le champ politique à chaque fois que la stabilité de notre jeune Etat en construction et de notre société semblaient, à sa hiérarchie, sérieusement menacée alors que cela reflétait un aiguisement des luttes politiques et sociales posant la problématique de la démocratie et celle de la nature du système de pouvoir . C’était le cas en 1962 , 1963 ,1965 , 1967 ,1980 , 1988, 1991 . De telles interventions de l’ANP devenaient possibles du fait de l’absence de mécanismes démocratiques de l’exercice du pouvoir animés par des forces politiques et sociales démocratiques dont l’émergence a été étouffée par l’hégémonisme , le populisme et la démagogie qui ont caractérisé l’évolution du système de pouvoir , du parti unique et de leurs appareils .

L’ANP a été et est dans les faits ,de par notre évolution historique , la véritable source et le centre réel du pouvoir. Le reconnaître aujourd’hui, exprimerait déjà une volonté d’en faire , sans tabou , un sujet important de débat pour sortir de la crise et pour engager les processus du changement démocratique dont il a été question plus haut, tout en intégrant ce que l’expérience collective durement accumulée aura fait ressortir d’impératifs pour la cohésion de la Nation et la stabilité du pays.

 

L’ANP , héritière de l’ALN , dispose en effet :

 

Ø  d’un fort potentiel patriotique et  d’élites éclairées ,

Ø  d’un important capital expérience accumulé en fonctionnant comme le cerveau et la colonne vertébrale de notre société,  au cours des phases complexes d’édification de l’Etat, du développement économique , social et culturel et de défense nationale ,

Ø  de l’accumulation d’une longue expérience dans l’édification de l’État et du développement en général ainsi que des riches leçons tirées de son engagement dans les différentes crises qui ont secoué dangereusement le pays .

 

L’ANP doit cependant ,et elle en est certainement consciente , faire face  pour le court , le moyen et le long terme aux impératifs que lui imposent sa nécessaire modernisation pour être à la hauteur des défis , des alliances et des intégrations régionales et internationales que lui dessinent les dynamiques géostratégiques et militaires du 21é siècle. De tels impératifs supposent , de sa part , une perception nouvelle ,adaptée aux évolutions et aux exigences du temps , du concept de défense nationale , de la nature et de la forme de l’Etat.

La transition pour refonder l’Etat et lui imprimer un réel caractère républicain , démocratique et moderne passe par une adaptation créatrice correspondante de la place et du rôle politique de l’ANP .Cette place et ce rôle doivent lui permettre d’assumer sa mission fondamentale et   d’intervenir dans des structures démocratiques et constitutionnelles à mettre en place pour  :

 

Ø   favoriser les processus d’édification des trois pouvoirs  et contribuer à assurer la transparence de leur exercice ,

Ø   soutenir l’émergence et la consolidation d’une véritable classe politique démocratique et d’une réelle société civile,

Ø   contribuer à prévenir les crises mettant en danger la stabilité du pays et la cohésion de la nation.

 

Il s’agit donc pour les forces patriotiques et démocratiques qui veulent construire des voies de sortie de la crise  , qui entendent réussir la conception du changement et être en mesure d’engager les processus de sa réalisation , de trouver , avec l’ANP , des formes démocratiques et constitutionnelles transitoires définissant sa place et son rôle.

 

3.2 L’INSTRUMENTATION IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE DE L’ISLAM ET LE STATUT DE LA RELIGION

 

L’instrumentation idéologique et politique active de l’islam à des fins de prise du pouvoir et d’instauration d’un État théocratique dans notre pays a commencé depuis les années 1970. Elle a cristallisé  la crise qui secouait notre société depuis l’indépendance. Elle lui a donné un sens et des formes qui tirent vers le recul historique et qui sont ,de ce fait, extrêmement dangereux. Une telle instrumentation relève déjà , il faut le constater , de la durée. Elle doit être saisie dans toutes ses implications et surtout dans son rapport à l’évolution et à l’avenir moderne de notre société et de la nature de son État donc au politique  compris dans son sens profond .

Le mouvement d’idéologisation et de politisation de l’islam, développé à l’échelle mondiale au début des années 1970, était impulsé , soutenu  et financé , sur recommandation de la « trilatérale » ,par les USA et  l’Arabie Saoudite en particulier . Il était conçu comme une opération de reislamisation pour  barrer la route  aux mouvements d’émancipation ,de progrès social et de modernité de pays dont l’islam est la religion de l’écrasante majorité et qui sont considérés sous influence soviétique et marxiste .

L’islamisme politique ne peut être considéré comme la pratique religieuse de l’islam .La véritable pratique religieuse relève , elle , avant tout de la foi du croyant ,qui  est seul redevable devant son créateur . L’islamisme politique est une stratégie sectaire de prise du pouvoir élaborée et mise en oeuvre dans le contexte d’une crise aiguë de civilisation du monde arabe et musulman , du rapport de l’islam à l’État et de l’incapacité manifeste   de réponses adéquates aux problèmes  posés  par les évolutions des sociétés et par la portée de l’influence du modèle de civilisation occidentale . C’est une idéologisation dogmatique de l’islam poussant, au bout du compte, au fondamentalisme ,à l’intégrisme et au terrorisme et à leur internationalisation.

L’islamisme politique en Algérie a , comme par hasard,  commencé lui aussi à se manifester et à s’organiser à grande échelle au début des années 70 en s’attaquant ,sous le prétexte de l’authenticité et de la préservation de l’identité nationale , par exemple :

q  à l’émancipation de la femme ,à son insertion dans les différents secteurs du travail productif ,

q  à l’édification d’une école nationale moderne ouverte sur les sciences et les acquits de la culture universelle enseignant les langues étrangères et fondée sur la rationalité,

q  aux forces politiques et sociales qui se réclamaient d’une vision moderne de l’édification de l’Etat et de la consolidation de la cohésion de la Nation et de développement de la société .

L’islamisme politique en Algérie s’exclut lui-même de tout processus  démocratique . Dans sa compréhension de la politique et des préceptes de l’islam , la démocratie n’est qu’apostasie. C’est ce qu’avait affirmé et affirme toujours , avec une  forte conviction , Ali Belhadj , l’un de ses chefs les plus en vue. Les tenants de l’islamisme politique ne connaissent que le recours à l’argument de la violence et surtout armée et terroriste. Ils avaient organisé des maquis déjà au cours de la deuxième moitié des années 80, pour lutter contre le pouvoir et les citoyens considérés comme impies. Ils ont  été défaits , alors , grâce justement à une action vigoureuse et responsable de l’ANP . Certaines forces du pouvoir  avaient tenté ,à l’époque, de mobiliser et d’ instrumenter les groupes islamistes pour les opposer aux organisations dites laïques et au mouvement culturel berbère. Les islamistes ont été activement encouragés , au regard des potentialités d’évolution démocratique que recelaient les événements du 5 octobre 1988 , à dévoyer le désarroi  et la fougue des jeunes en canalisant leur mouvement avec des slogans creux comme « l’Islam est la solution » .

L’ouverture « démocratique » initiée par la constitution du 23 janvier 1989 et le décret portant création d’association à caractère politique ne permettaient pas la légalisation d’organisation politique  instrumentant la religion  .Le front islamique du salut a été cependant légalisé par calculs politiciens pour la sauvegarde du système de pouvoir . Le FIS , pouvait-on  ne pas s’y attendre , n’a pas et ne pouvait pas , faute de se renier , joué le jeu démocratique. Il se considérait investi de la volonté de Dieu pour instaurer un Etat théocratique fondé sur  la Charia  . Il n’a jamais renoncé au recours à la violence et au terrorisme ,comme peuvent l’attester ,à la fin des années 80,  plusieurs actes commis de Ouargla à Guemmar en passant par Blida ou Staoueli . Il a poursuivi la consolidation et le renforcement de ses organisations subversives et de sa logistique paramilitaires. Qu’a-t-il fait de son soit-disant succès aux élections communales de  1990 ? Il a essayé de transformer les communes conquises aux élections municipales en municipalités non régies par le code communal mais en municipalités islamiques régies par un code islamique existant seulement dans les têtes des dirigeants islamistes . Ces communes ont été utilisées comme des points d’appui à des actions d’envergure servant les intérêts du FIS comme par exemple l’utilisation des biens de l’État à des fins partisanes , le  détournement de fonds , le détournement ou la falsification de listes électorales ou de cartes d’électeurs etc. .

Le constat est établi aujourd’hui que les élections communales de 1990 et les élections législatives de 1991 ne procédaient pas réellement d’une démarche sincère visant  à ancrer la démocratie dans notre pays . L’action violente des islamistes instrumentant la croyance religieuse et les radicalités psychosociales et politiques de larges secteurs de nos masses populaires a pris les formes les plus dangereuses en 1991 avec l’organisation d’actions  insurrectionnelles, défiant , non sans certains succès, l’autorité de l’État  .Cela constituait un véritable danger pour l’avenir véritablement démocratique de l’Algérie . Fallait-il alors accepter comme relevant d’un processus démocratique réel les résultats issus d’ élections faussées au départ par les deux principaux intervenants : le pouvoir en place et le mouvement islamiste représenté par le FIS qui jurait qu’il allait , une fois le pouvoir pris,  imposer l’Etat islamiste. Fallait-il ,comme l’a suggéré  un sociologue algérien professant en France, « attendre que le FIS , une fois aux commandes , se révèle incapable de diriger l’Etat » ? L’ANP  et d’autres dirigeants et forces politiques et sociales ont pris la responsabilité historique, en essayant d’agir dans les cadres fixés par la constitution en vigueur, d’interrompre le faux processus électoral et d’épargner ainsi au pays et au peuple algérien les affres d’un régime théocratique fondamentaliste . L’histoire et le peuple algérien jugeront de la validité historique d’une telle décision . Ils ont sans aucun doute déjà jugé. Ils ont rejeté massivement et au prix d’immenses et douloureux sacrifices le recours à la violence armée et au terrorisme islamiste . Ils ont vécu quotidiennement la réalité du FIS et de l’islamisme politique dans les massacres et les dévastations barbares de biens publics et privés ,dans les assassinats d’intellectuels ,de journalistes ,de femmes et même d’enfants . Notre jeunesse ,nos travailleurs , nos couches moyennes , nos cadres et nos intellectuels ont voulu reprendre confiance et se mobiliser avec feu le Président Boudiaf .Celui-ci  avait su ,très rapidement redonner espoir et dégager une vision et une démarche pour refonder un Etat démocratique et républicain. Il voulait engager le pays vers le développement global et le progrès social par le travail et la mobilisation efficiente de notre génie national et par la pratique démocratique . Son assassinat a mis de nouveau notre peuple face à la réalité du terrorisme islamiste et d’un système de pouvoir qui ne voulait pas comprendre qu’il était arrivé à ses limites  .

Ainsi l’instrumentation idéologique et politique de l’islam chez nous  a été rendue possible par la nature du système de pouvoir en place même si celui-ci a dû s’opposer à la violence de l’islamisme et à sa prétention à renverser l’ordre républicain établi au lendemain de l’indépendance. Le système de pouvoir était dans l’incapacité de par sa nature et de ses intérêts étroits à prendre rigoureusement compte de l’évolution de la société , de ses aspirations profondes , des radicalités et des mutations qui y prenaient formes et d’engager les indispensables réformes en mesure de faire avancer sa modernisation et sa sécularisation , de développer son identité tout en donnant toute sa place  à la religion et à la pratique religieuse mais en la soustrayant, par le développement économique , social et culturel  à l’archaïsme et aux dangers qu’engendre l’islamisme politique.

L’islam et la culture arabo –musulmane constituent un patrimoine historique du peuple algérien .Ils ne peuvent être revendiqués par une organisation politique islamiste. Il n’ y a pas de clergé en islam. Le statut de la religion doit être en accord avec  l’État de droit et favoriser le développement de ce dernier . Un tel rapport de la religion à l’État doit trouver sa claire traduction dans la  nouvelle constitution. C’est le défi que doivent relever nos États et nos forces politiques et sociales patriotiques   s’ils ont la volonté de mener avec succès nos sociétés et nos nations dans les véritables challenges  économiques ,sociaux et culturels du 21e siècle et mettre en échec l’internationale islamiste qui entend dévoyer l’islam , internationaliser le terrorisme et imposer l’archaïsme islamiste .